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filles en costume d’infirmières ; la princesse Lôwenstein et la comtesse Larisch entourées de leurs jeunes enfants ; des bonnes sœurs, des soldats blessés, des têtes enveloppées de linge et des bras en écharpe… Au fond de la chapelle, « mon mari en tenue de chevalier de Malte, avec le brassard de la Croix-Rouge, et le prince Lôwenstein en tenue de campagne d’officier bavarois, tous deux appuyés sur leurs sabres, les yeux cloués au tabernacle. Et toute cette foule pieuse, dans un oubli total du monde extérieur, épanche tendrement son cœur aux pieds du Créateur, dans un cantique profond à la Vierge Marie. Et je me demande à moi-même : « Est-ce que tu hais ces gens-là autant que tu le « crois ? Ne vois-tu en eux que du mal ? Est-ce qu’ils ne souffrent pas aussi, et ne vois-tu pas leurs foyers en deuil et « tout ce qu’ils endurent aussi bien que les liens ? » Et ma rancune s’apaise, et je me mets à faire une prière pour ces êtres malheureux comme moi, et peut-être plus que moi. »

Le passage est touchant et fait honneur au cœur de celle qui l’a écrit. Peut-être est-ce le destin des créatures de sa sorte de se jeter parfois, comme les Sabines de la légende, échevelées et éperdues, entre leurs frères et leurs maris. Mais peut-être aussi le monde un peu exceptionnel où vivent de telles personnes, s’il leur permet de voir certaines choses, leur en cache d’autres plus importantes. Panser les blessures de la guerre est la lâche de la paix, mais n’y a-t-il à guérir que des blessures allemandes ? Nous en connaissons de plus cruelles et de moins méritées. On peut avoir le malheur d’épouser un prince allemand, mais ce malheur d’élite n’est pas une raison qui compte devant tant d’infortunes plus communes et plus simples. Tout le monde n’a pas l’honneur d’être la marraine du Blücher et de posséder en Silésie des chasses seigneuriales. Que ces avantages se paient de quelques inconvénients, qu’est-ce que cette insignifiante et aristocratique misère et que ce chagrin privilégié, au prix de ces millions de deuils d’étoffe bourgeoise ou paysanne, qui pleurent des fils et des maris et qui sanglotent d’humbles sanglots sur les tombes de nos provinces dévastées ?

Ce n’est pas tout. La princesse Blücher écrit comme si l’Angleterre était entrée dans la guerre sans motif personnel par pur désintéressement et dévouement pour un autre pays. Elle assure que, la guerre finie, il n’y a plus de raison de haine, et que, pendant la guerre elle-même, nombreux était en Allemagne