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Et alors, brusquement, le drame se précipite ; le nuage pesant, l’effroyable épaisseur d’illusions et de mensonges, de complicités et de silence, se dissipé en quelques éclairs et l’Allemagne découvre sa véritable situation. Je ne vais pas rappeler ce que tout le monde connaît : la demande d’armistice, la panique de Ludendorff et sa culbute lamentable, l’affolement de Berlin, les hésitations de l’Empereur, sa fuite et les événements qui suivirent. Sur chacune de ces journées de la Révolution, la princesse nous a laissé une suite d’instantanés dont le déroulement rapide, capricieux et haletant, nous fait assister, semble-t-il, au spectacle de la réalité. Derrière sa fenêtre blindée du vieux palais Blücher, sur le Pariser-Platz, devant la porte de Brandebourg, faite pour que l’ombre du « maréchal Vorwaerts » présidât à perpétuité aux retours triomphants des troupes, sous le quadrige de bronze ailé que conduit la Victoire, son arrière-petite bru put voir toute une journée le défilé de la populace célébrant comme une fête la chute de l’Empire, et entendre plus morte que vive toute la nuit suivante les mitrailleuses faire rage entre les insurgés et le parti de l’ordre. Avec quel soulagement on reçut à Berlin la dépêche de Clemenceau, signifiant que les vainqueurs ne feraient pas la paix avec le bolchévisme ! Ce dimanche 10 novembre, « tout Berlin » se disposait à recevoir les Alliés comme des libérateurs !

Et la princesse, avec son talent ordinaire, ne manque pas de nous faire encore quelques tableaux saisissants des semaines tragiques : c’est Liebknecht haranguant la foule du haut de ce même balcon doré du Schloss impérial, où l’Empereur quatre ans plus tôt promettait à ses troupes qu’elles reviendraient à Berlin avant les feuilles d’automne ; ce sont les bureaux de la Wilhelmstrasse envahis de « camarades, » sous le contrôle desquels les fonctionnaires impériaux, et parmi eux le propre neveu de la princesse, continuent le travail du Reich : c’est le spartakiste Eichorn, l’Empereur rouge de Berlin, gardé dans son repaire par un splendide marin, ancien garde de Guillaume II sur le Hohenzollern, et qui, avec le flegme du vrai prétorien, continue son métier de veiller sur le « pouvoir. »

Je voudrais, dans ce flot des dernières images, en retenir quelques-unes particulièrement émouvantes : c’est, dans le grand désastre, l’exode désordonné des petites monarchies, l’évasion affolée de la maison de Saxe, l’émoi des maîtres de