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repoussaient cette affirmation répandue par les journaux prussiens que les Français étaient un peuple dégénéré : le mot Gesta Dei per Francos, à leur avis, pouvait toujours se vérifier.[1].

Les démocrates avancés, également par opposition à la Prusse, mais dans un esprit libéral et anticlérical, nourrissaient les mêmes sympathies. Il faut signaler la revue März, d’autres encore, mais surtout le Simplicissimus, créé en 1895 par Langen, qui avait été réfugié politique à Paris, et où écrivait Ludwig Thoma. Langen avait ouvert une maison d’édition et publiait une « bibliothèque » dans laquelle il fit figurer une masse énorme d’ouvrages français convenablement traduits. Pour son journal, il sollicita la collaboration d’un grand nombre d’écrivains parisiens, Verlaine, A. Bruant, Marcel Prévost, Maupassant. Parmi les dessinateurs, Willette lui apporta son concours. Au début, le Simplicissimus épousa vigoureusement les querelles françaises[2]. En 1905, comme l’affaire du Maroc était dans l’une de ses phases les plus aiguës, il protesta contre la politique de l’Empire et se montra résolument pacifiste. Le débarquement de Tanger, les discours belliqueux du chancelier Bülow lui donnèrent l’occasion de railleries féroces. Dans la semaine la plus critique, un numéro spécial parut, qui portait comme titre : Paix avec la France, et dont la couverture représentait Goethe à Valmy, avec la phrase bien connue : « D’aujourd’hui date une nouvelle époque dans l’histoire du monde, et vous pourrez dire que vous avez été présents. » Suivait un commentaire, par courtes propositions juxtaposées presque sans suite, pour expliquer que c’est la France qui a donné la liberté, à l’univers : « La célèbre armée prussienne a été mise en fuite, la marche sur Paris arrêtée, la Révolution sauvée… La nouvelle époque dans l’histoire du monde, l’époque de la liberté, qui a été vraiment réalisée !… Nous l’avons eue en présent, nous autres Allemands, sans l’avoir méritée… Remercions les Français, et, si une folie criminelle pousse à la guerre, retenons en nous une parcelle de l’aveu de Goethe… C’est le gai et beau peuple de France qui nous a apporté l’ère nouvelle… »

  1. Ib., 1905, T. 135, p. 835 ; T. 136, p. 751 et sq. 1907, T. 139, p. 59. — C. encore 1907, T. 139, p. 224 ; 1908, T. 142, p. 923 ; 1911, T. 148, p. 930.
  2. Je renvoie seulement à la nouvelle Der gefangene Preusse, de Karl Rosner (13 juin 1896) où un prisonnier prussien, très provocant, est pendu par des paysans normands en 1871.