Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le public parait en avoir été certain d’avance. Il l’écoute poliment. Ses applaudissements sont corrects. L’intérêt est ailleurs. La grande affaire est maintenant, pour tous, la reprise prochaine de la bataille entre les sénateurs Johnson, Borah et Lodge et dont l’entente sur la platform n’a été qu’un épisode et une trêve. On sait que le combat décisif aura lieu sur le choix du candidat et cette nuit. Les leaders irréconciliables se prodiguent, proclament bruyamment aux headquarters de l’Auditorium, au Congress hôtel, partout, ce soir, leur victoire Au dîner du Blackstone, la silhouette longue, mince, un peu courbée du sénateur Lodge se glisse entre les tables, s’arrête à l’une, à l’autre. Jamais le regard, généralement las, ironique, du vieux politicien, n’a été plus éveillé et plus aigu : jamais le sourire, qui plisse si curieusement ses yeux et les clôt, puis se perd dans la barbe blanche, courte, fine, frisée, n’a paru plus satisfait, plus triomphant de la défaite partout avouée, annoncée, proclamée.


Vendredi, 11 juin.

En politique, ce ne sont pas les actions qui comptent, mais les réactions. Par quel phénomène de psychologie des foules ceux qui célébraient hier en tout enthousiasme le triomphe de Johnson et des Irréconciliables sont-ils les mêmes qui, ce matin, parlent de violence faite, accusent d’unfair play et de hold up ces mêmes Irréconciliables ? Le leader des modérés, le connaisseur averti du public et du tempérament sportif et loyal des Américains, le rusé politicien surtout qu’est le sénateur Lodge, pourrait assurément l’expliquer mieux que personne. Le fait, en toute conjoncture, est là.

Bien avant que la Convention soit ouverte, — dès neuf heures et demie, ce matin, — personne ne pourrait dire d’où il tient son impression, mais tout le monde sait que l’atmosphère et l’opinion sont partout et radicalement changées. Les Irréconciliables sont brusquement en baisse devant le public de la Convention et le plus grand public américain. Sans qu’aucun fait nouveau se soit produit de façon apparente, ils sont déjà considérés comme perdus.

La prière habituelle est plus rapidement expédiée ; le chairman, maintenant radieux, annonce qu’il va être procédé à l’introduction des divers candidats. La journée entière y passera.

Ce rite de l’introduction ne manque pas de pittoresque.