Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partageait entre les théâtres d’opéra et ceux de vaudeville et de drame. » Le romantisme battait son plein. Et tandis que les copies décolorées de notre tragédie à bout de sève faisaient régulièrement salle vide, la foule se portait vers les scènes du boulevard du Crime, où le mélo faisait fureur. A la Comédie-Française, on réalisait des recettes de soixante-quinze francs ! Le théâtre, ne pouvant payer son loyer, obtenait de M. Empis, directeur des domaines de la liste civile, une remise de sa dette. Mais pour reconnaître ce service, il mettait sur l’affiche une pièce de M. Empis : cela ne faisait pas courir tout Paris. On était dans les temps difficiles. C’est l’honneur des grandes institutions telles que la Comédie-Française, que si elles connaissent de mauvais jours, chaque fois elles en sortent intactes et prêtes pour l’avenir. L’essentiel est qu’elles aient confiance en cet avenir, et pour cela qu’elles commencent par avoir foi en elles-mêmes.

Les fournisseurs habituels du Théâtre-Français étaient alors Scribe, qui faisait jouer Une Chaîne, Dumas, qui obtint avec Mlle de Belle-Isle un grand succès, tandis que les Demoiselles de Saint-Cyr et Un mariage sous Louis XV furent moins bien accueillis, Ponsard, Mme de Girardin. Pour ce qui est de Victor Hugo, brouillé avec la Comédie, Buloz eut l’art de le ramener en reprenant Marion Delorme et montant les Burgraves. C’est un poème magnifique que les Burgraves ; ce n’est guère une pièce de théâtre. Et puis la fièvre de Hernani était passée. A l’ami que Victor Hugo avait chargé de recruter la claque, Célestin Nanteuil avait répondu : « Jeune homme, allez dire à votre maître qu’il n’y a plus de jeunes gens. » L’échec fut retentissant. Il eut pour effet de détourner à jamais Victor Hugo du théâtre : les Burgraves eux-mêmes indiquaient clairement la route à son génie fait pour l’épopée.

Ici, rendons à Buloz ce qui appartient à Buloz. Un honneur lui a été injustement dérobé, un titre à la reconnaissance de tous les lettrés : c’est d’avoir fait entrer au répertoire le théâtre d’Alfred de Musset. Tout le monde connaît la gracieuse légende qui s’est accréditée sur ce point d’histoire littéraire. On veut qu’un caprice d’artiste nous ait valu la mise à la scène d’Un Caprice. Mme Allan, qui avait joué le rôle en Russie, aurait rapporté la pièce dans son manchon. La vérité est tout autre. Quand Mme Allan débarqua à Paris, elle trouva la Comédie en train de mettre la pièce en répétitions, et elle n’eut qu’à y