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négligé de réaliser pour notre compte, — la conduisaient à formuler à l’égard de la route des Indes. Ce ne sera pas un médiocre sujet d’étonnement pour les siècles futurs d’apprendre qu’après avoir refusé avec M. de Freycinet de s’associer à l’Angleterre contre Arabi-Pacha, refusé encore avec M. Léon Bourgeois d’investir d’une sorte de mandat européen, moyennant compensations équitables, l’expédition de Kitchener contre le Mahdi, ce fut le quai d’Orsay, et non pas les coloniaux professionnels, qui inventa, pour contrarier celle-ci, d’envoyer Marchand vers Fachoda.


IV

On sait par quelle crise aiguë, qui faillit provoquer une lutte armée entre la Grande-Bretagne et la France et que dénoua la dextérité de M. Delcassé, se termina cette dernière affaire. Mais l’on peut dire, sans se tromper dans la circonstance, que de l’excès du mal résulta vraiment le bien, car à ce conflit succédèrent presque aussitôt les prodromes de l’Entente cordiale.

Entre autres avantages, notre politique coloniale avait eu celui de rassurer les plus méfiants sur nos prétendues ambitions continentales et nos désirs de revanche. Ce fut donc très naturellement qu’aux environs de 1890, ayant eu à se plaindre de l’Allemagne et redoutant les appétits de la Triple Alliance à l’égard de sa clientèle balkanique, la Russie vint chercher chez nous un appui, financier d’abord, militaire ensuite. En revanche, la même politique avait présenté un inconvénient, qui s’était révélé à la longue : inaugurée sur les terres sans maître, — sans maître européen s’entend, — elle s’était forcément poursuivie de manière à nous mettre en contact, et partant en conflit, avec la principale puissance coloniale du monde ou avec ses clients.

Presque partout, en Afrique, à Madagascar, en Extrême-Orient, les occasions de friction avec l’Empire britannique s’étaient multipliées, s’ajoutant aux anciennes querelles léguées par le passé aux Nouvelles-Hébrides, à Terre-Neuve ou ailleurs.

À plusieurs reprises, le cabinet de Saint-James, inquiet de nos progrès incessants, prit à notre égard des allures nettement agressives, comme s’il voulait provoquer une décision de notre part. La patience et la modération dont nous fîmes preuve dans