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savoir une armée et une diplomatie. En vain les maîtres de ma jeunesse essayaient-ils de réagir ; en vain, dans son enseignement d’abord, puis dans le splendide monument qu’il éleva à la Révolution française, Albert Sorel s’employait-il à rappeler que les nécessités pratiques l’ont, de tout temps, emporté sur les concepts abstraits, et que l’obligation pour un pays de vivre et de respirer librement conduit son gouvernement, quelle qu’en soit la forme extérieure, à poursuivre les mêmes buts, à employer les mêmes moyens que ses prédécesseurs. Les esprits chagrins adoptaient plus volontiers les conclusions pessimistes de Taine, essayant de montrer dans la même Révolution la destruction de tout ce qui constitue la force permanente d’une nation. Malheureusement, les excès de l’idéalisme en 1848, le trop fameux programme de Belleville en 1869, les manifestations répétées de l’anti-militarisme par la suite encourageaient ces derniers dans la désespérance.

Pour ce qui concerne l’armée, la preuve est faite, et décisive, de ce qu’a réussi à accomplir la troisième République : jamais la France n’a possédé troupes plus valeureuses et plus endurantes que dans la guerre récente ; jamais non plus les chefs militaires n’ont montré plus de discipline, d’abnégation et de cohésion ; la sorte d’anonymat qui caractérise de nos jours et le régime et le haut commandement a obtenu des uns comme des autres des efforts et des résultats que n’ont point connus les temps anciens.

Et voici que, quant à la diplomatie, le livre de M. Schefer apporte la démonstration éclatante qu’il en a été de même : le solide édifice d’alliances et d’ententes sur lequel la France a pu étayer sa défense lors de la sauvage agression de 1914, n’a pas été une improvisation de la dernière heure ; les pièces en ont été équarries, assemblées, ajustées une à une par le patient travail de quarante ans, et ce n’est pas une coïncidence accidentelle qui a mis aux côtés de notre pays, au moment de l’agression finale dont il a été l’objet, précisément les deux puissances, Russie et Angleterre, à l’intervention desquelles avait eu recours le duc Decazes, lorsque certaines polémiques de presse l’alertèrent en 1875 et lui firent craindre un prochain assaut de Bismarck. La construction, à la vérité, ne s’est faite ni sans peines et lenteurs, ni sans accidents et arrêts ; elle n’en était pas moins achevée à l’instant voulu.