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et forcenée d’où va dépendre une longue suite d’événements ?

« Ceux qui ont fait la guerre, » disait Bonaparte. Mais, l’on savait aussi, après l’épreuve de 1870, qu’un certain passé militaire ne suffit pas, que des connaissances infiniment complexes sont indispensables pour manier de telles masses d’hommes et pour s’attaquer aux conditions nouvelles des grandes luîtes nationales. Avec l’expérience il faut la science : sans parler des qualités nécessaires dans tous les temps à tous les hommes d’action, le sang-froid, le jugement, la persévérance, l’imagination.

Or, il y avait en France, à la veille de la guerre, deux catégories d’officiers, nous ne disons pas deux écoles, dans les hauts grades : d’abord celle des officiers coloniaux ; ils avaient « fait la guerre, » ne fût-ce que la petite guerre ; ils avaient assumé des responsabilités, ils avaient commandé, ils avaient manié les hommes et vu couler le sang humain. L’autre catégorie était celle des officiers qui, ayant passé par les hautes études militaires, avaient travaillé, réfléchi, étudié, comparé ; ils avaient « entraîné leurs réflexes » aux diverses combinaisons et éventualités de l’art militaire et de la « grande guerre ; » mais les circonstances ne leur avaient pas permis, à proprement parler, de « faire la guerre. »

Souvent, il est vrai, les deux catégories n’en faisaient qu’une. Nombre d’officiers de valeur appartenaient à la fois à l’une et à l’autre ; il restait même quelques officiers déjà âgés dont la jeunesse avait servi en 1870 : une expérience amère leur en était restée.

Comment, dans cet amalgame, serait choisi l’homme qualifié pour exercer le haut commandement ?

Nous n’avons pas à rappeler par quelle loi s’opérait traditionnellement la sélection dans les rangs de l’armée française. Tout le monde connaît le système d’avancement au choix et à l’ancienneté, qui remontait, en somme, à la grande réforme de Gouvion Saint-Cyr. Ce système a été critiqué, et non sans motifs. La manière dont il fut appliqué à certains moments parait peut-être plus blâmable encore que son principe ; il n’a pas échappé à certaines tares, — aussi fréquentes dans les monarchies que dans les démocraties, — l’intrigue de la petite chapelle, l’abus de la faveur et des recommandations. Encore convient-il de reconnaître que, dans ses grandes lignes, il présentait cet avantage de laisser à l’armée le soin de procéder elle-même à un