Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
revue des deux mondes.

règlements des différentes armes, voilà des travaux que leurs devanciers ont à peine connus et qui seront de leur vie courante.

Aussi faut-il que cette vie soit assurée, et actuellement elle ne l’est pas. Les tarifs de solde ne tiennent pas compte du renchérissement de la vie et les indemnités temporaires ont été calculées avec une parcimonie déplorable ; fait très grave, les charges de famille ne sont compensées que d’une façon dérisoire : des enquêtes concordantes montrent qu’un ménage d’officier ayant plus de deux enfants est réduit à un seul repas par jour, s’il ne dispose pas de ressources personnelles, ce qui est le cas le plus fréquent.

L’armée de la Victoire supporte avec stoïcisme cette injuste épreuve qui, elle le sait, blesse les sentiments de reconnaissance et d’affection que la nation a pour elle. Elle constate en silence la hausse de tous les salaires et les augmentations, très justes d’ailleurs, que le Parlement a consenties aux traitements des fonctionnaires, qui sont électeurs. Mais beaucoup d’officiers, parmi les plus capables, ont déjà quitté une carrière qui ne nourrit pas son homme et où on ne peut élever ses enfants. Ils viendront, s’il est besoin, reprendre leur place dans le rang au jour du danger, mais ils auront besoin de s’entraîner de nouveau et d’apprendre toutes les transformations qu’auront subies le matériel et la tactique de leur arme. En tout cas, leur expérience manquera à la formation de leurs cadets.

En même temps, les jeunes gens se détournent des Écoles militaires, où le nombre des candidats diminue d’une manière très inquiétante. Si l’on n’y prend garde, le corps d’officiers ne se recrutera plus que parmi les fruits secs de toutes les carrières et les véritables vocations deviendront tout à fait exceptionnelles. Or l’armée a besoin au contraire de spécialistes très avertis, ouverts aux idées générales, connaissant toutes les ressources qu’ils auront à mettre en œuvre au moment suprême, capables d’instruire l’élite intellectuelle qui doit former le cadre de l’armée de la guerre avec les officiers de complément ; ces hommes d’intelligence et de caractère ne peuvent se trouver que par des concours d’un niveau élevé, largement ouverts à de nombreux candidats.

Les jeunes officiers n’ont plus le même but idéal qui animait leurs aînés : délivrer l’Alsace et la Lorraine. Mais leur rôle reste très beau : monter la garde du Rhin, former une