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pointent les ongles du lettré. » Le plus beau de ces portraits exotiques est celui du petit roi de l’Annam, Than Taï.


Un long corridor, un cloître plutôt, et enfin, éclairant l’ombre, venant du fond, une note lumineuse et éclatante : un joli, mince et élégant éphèbe dans une gaine de soie jaune or sur laquelle flambaient le grand cordon de la Légion d’Honneur et la grande Sapèque des Dix mille soutiens, au cou une rivière de diamants, sur la tête un haut turban de la soie royale de la robe. Il est grave comme une idole, le petit Roi. Sa robe éclatante et le feu de ses diamants se détachent sur une grande tapisserie des Gobelins douce, discrète, aux tons fondus ; et sous le masque de l’enfant pensif, presque de jeune fille, on a peine à imaginer le petit tigre… (Après l’audience), le Gouverneur se lève ; le Roi le prend par la main et le quitte au seuil du cloître. A chacun de nous la main tendue avec une toute petite inclinaison de tête très protectrice, exactement celle à Paris d’une maîtresse de maison très hautaine, très snob…


Mais ses modèles, il les peint plutôt dans l’action que dans l’immobilité ou la représentation. On ne connaîtrait guère ce jeune prince, si on ne lisait les pages qui suivent et le voyage à Tourane où l’idole se dégourdit, — (zut pour la cour ! zut pour les rites ! zut pour Troug Hiep le censeur ! ) — court le bateau à minuit, réveille les officiers en leur chatouillant le nez, grimpe aux bastingages, et, le lendemain, lâchant sa suite, les parasols et le Gouverneur, accompagné seulement de l’interprète et de Lyautey, pique un galop scandaleux devant ses sujets, que l’étonnement foudroie dans la poussière, et atteint le col des Nuages deux heures avant tout le monde. Là, de la terrasse d’un vieux fort annamite, l’adolescent en robe lilas regarde son royaume entre deux serviteurs, l’un qui tient le parasol, l’autre qui l’évente, et, redevenu hiératique, ressemble « à un jeune Salomon sur le Temple. » Le général Lyautey a au plus haut point le don de la vie et le sens dramatique. La foule annamite grouille et bourdonne partout où il passe et jusque sous les roues de sa voiture. Les villages s’animent, les petits métiers vont leur train. Rien n’est insignifiant pour cette curiosité au regard d’aigle qui ramène un butin des recoins les plus humbles. Et le temps ne l’émousse pas. Sur la route de Madagascar et à Madagascar tout lui sera d’aussi bonne prise qu’au Tonkin ou dans l’Annam. En vingt lignes, car il est toujours sobre et pressé, il nous donnera de Zanzibar et de l’Afrique.