Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec un employé qui agitait un drapeau rouge en se penchant un peu.

Un coup d’œil furtif vers bon papa : « Bien, me disais-je, il est très absorbé dans sa lecture, ne disons rien, et attendons le prochain train. »

La vision magnifique, l’enivrement de la fumée, le mirage éblouissant recommençaient, et jamais le beau panache blanc ne m’emportait ; et jamais mon espoir ne se lassait, et je considérais avec un mépris profond les petits enfants qui regardaient passer les trains, tout bêlement, en poussant des petits cris, sans soupçonner tout leur mystère qui me troublait en me ravissant. Mais, par malheur, il arrivait que bon papa parvint à la fin d’un chapitre ou d’un article ; il s’apercevait alors de la longueur de la station qu’il avait faite là ! « Ah ça, Pâquerette, est-ce qu’il y en a pour jusqu’à demain ? »

Vite, en route, mon cerceau ; car j’étais dressée à ne pas me faire dire les choses deux fois. Je longeais rapidement deux ou trois jardins, et je m’arrêtais de nouveau devant la villa Lamartine. Son aspect était moitié champêtre, moitié alpestre ; la maison me rappelait les chalets que j’avais vus en Suisse, et dont mon vieil ami m’avait donné une petite reproduction très exacte qui ornait mon si antipathique bureau ; en effet, c’était un grand chalet de bois, bâti de biais dans une pelouse-prairie, avec un grand toit pointu et en pente des deux côtés, des balcons ajourés et découpés courant tout autour ; au rez-de-chaussée, des portes-fenêtres très abritées par le balcon du premier étage ; le tout était jaunâtre, et les persiennes peintes de marron. Oui, j’avais déjà vu cela autour de Berne ou de Bex, et je ne pouvais pas comprendre comment cette habitation de montagne était descendue avenue Henri-Martin (en ce temps-là avenue du Trocadéro), au milieu de ce grand jardin assez désordonné ; elle m’attirait, et, plus qu’elle encore, m’attirait le cèdre qui l’abritait.

Les impressions d’enfance s’implantent pour toujours ; depuis ces promenades qui débutaient au cimetière pour finir au chalet Lamartine, rien n’a pu m’ôter du cœur les cyprès et les cèdres, ces deux arbres si opposés de caractère, qui m’ont toujours parlé du ciel : l’un par son jet fervent vers les hauteurs, l’autre par son geste de noble bénédiction. Ce cèdre ! Que ses plateaux successifs étaient beaux ! Comme ils supportaient