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il se trouva au bout d’un instant que j’avais embrouilla les feuilles d’épreuves de la maison Hachette et que j’avais confié le peloton de laine à la chatte qui n’avait pas hésité à s’en servir à sa façon. « Va-t-en, monstre, » déclara une voix énergique, et me voilà sur le palier du premier étage, très ennuyée de ma personne.

Je m’avisai que le cher, l’indulgent bon papa, ne m’avait pas vue depuis le déjeuner, et je me lançai à l’assaut du second étage. J’ouvris une porte et une aimable voix ravie s’écria : « Te voilà, ma chérie, ma mignonne et mon amour ! » Oh ! le cher son de voix, et le délicieux regard de tendresse ! Voici ce que voyait le bon papa dans l’embrasure de la porte : une petite fille aux joues rebondies et très roses qui prenaient toute la place et n’en laissaient presque pas aux yeux tout petits : un nez en l’air, une bouche dont il n’y avait rien à dire, un honnête menton bien à sa place ; mais une cascade de cheveux frisés, tenus par un nœud grenat qui se déplaçait souvent ; beaucoup d’animation et de vie et surtout un grand air d’amabilité qui n’empêchait aucun défaut de fleurir !

A son tour, voici ce que voyait la petite-fille : un petit bon papa dans un veston à brandebourgs, les pieds dans une éternelle chancelière, et dont le crâne luisant, ceint d’une auréole de cheveux noirs frisés, se détachait sur la fenêtre. Derrière des lunettes, des yeux gris, des yeux de myope au regard fin et spirituel, dont la malice eut été incisive, n’était la charmante bonté. Selon l’usage, il penchait un peu la tête à gauche et écrivait de minuscules pattes de mouches ; souvent ses plumes n’avaient qu’un bec ; on lui passait toutes les vieilles plumes de la maison, et il les grattait sur une pierre grise et longue, comme un oiseau qui fait son bec ; il prétendait que ses plumes étaient des merveilles ; mais personne n’a jamais pu écrire avec.

Un bureau devant lui, et un bureau à sa gauche l’enserraient étroitement ; ils étaient jonchés de papiers à en-tête de l’Université de Paris, que des bronzes retenaient en vain, par-ci, par-là ; cette Université lui faisait une forteresse. D’un côté de l’encrier-pendule était l’encre ; de l’autre, le sable bleu mêlé de poudre d’or qui m’éblouissait ; on m’avait appris que les enfants ne doivent pas faire d’observations à leurs parents ; aussi n’osai-je jamais blâmer le gaspillage de tant d’or !

A gauche, il y avait la mappemonde céleste qui me