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à tous mes jeux, de même que l’aubépine, dans l’autre jardin, saluait toujours de son panache rose les graves personnages qui montaient le perron vulgaire pour être introduits chez bon papa, tout en haut, dans la grande chambre aux livres.

Pour l’enchantement du vrai perron, il y avait aussi une gloire de Dijon qui tenait vraiment bien son rang doré parmi les gloires des roses, et des rosiers plus modestes qui lançaient au jour, sans marchander, des multitudes de fleurs rouges au cœur jaune ; l’ensemble était féerique ; j’aime mieux ne pas le revoir, de crainte d’être- devenue déraisonnable, c’est-à-dire de voir les choses telles qu’elles sont.

Je m’asseyais sur une marche, je tirais ma petite robe sur mes genoux, et j’écoutais les bruits du buisson.

De l’autre côté, il y avait le grand soleil.

De la fenêtre du petit salon, où maman travaillait, elle criait tout à coup : « Pâquerette, tu n’as pas mis ton chapeau. » Quand donc les parents comprendront-ils qu’on n’a pas besoin de chapeau, quand on a des cheveux frisés, ce qui abrite bien mieux que des cheveux plats ?

J’écoutais les abeilles, si contentes de tant de parfums ; je guettais les progrès des cocons de papillons roulés dans les feuilles des rosiers ; je suivais passionnément la marche ondulée des chenilles sur la pierre chaude, je comptais leurs anneaux fauves, et j’introduisais un brin d’herbe dans l’épaisseur de leur fourrure ; elles se roulaient aussitôt en boule et ça me fâchait. Puis, pour peu qu’il eut légèrement plu, il y avait le va et vient charmant des colimaçons qui montaient et descendaient mon perron, un peu bavants à la vérité, mais si solennels. Les grands jours du perron, c’étaient ceux où Trotte-Menu, ma chatte, tenait cour plénière, suivant l’expression de bon papa. Bien sûr, ça ne se passait pas au moment où je faisais mes farces au jardin, mais à l’instant précis où maman me retenait pour m’apprendre à faire des points réguliers dans un tablier, ou bien à l’heure où bonne maman m’initiait à l’art de couvrir les pots de confiture. Trotte-Menu faisait sa grosse fourrée sur le palier du perron et sur chaque marche siégeait patiemment un magistrat de moindre importance, choisi parmi les plus beaux angoras du quartier. Au moins, c’était ce que disait bon papa en ajoutant : « Ils attendent leur heure ! » Jamais je ne me suis demandé ce que signifiait cette phrase, tant il me paraissait naturel que