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domaine, Itroun Varia ar Joa elle-même, un peu branlante, elle aussi, entre quatre jeunes filles en toilette de gala : gants blancs, robes et plastrons brodés de grandes fleurs et feuilles d’or ou d’argent. Des hommes suivent, des hommes de la terre, en longs et doubles justaucorps, aux cheveux coupés à l’écuelle, aux mines rigides ou bien éberluées ; et puis des hommes de la mer, la nuque rase aussi sous l’épaisse calotte (il paraît que cette taille archaïque est rituelle pour un vœu, l’idée religieuse s’associant comme toujours à une forme ancienne). Il y en a deux groupes, de ces pêcheurs, chacun portant avec cérémonie, sur un immense piédestal, un tout petit bateau d’enfant. Les rescapés d’octobre dernier. Deux équipages, en « tenue de vœu. » Je n’en avais vu qu’un dans la sacristie. Je reconnais les vieux à l’air triste, les jeunes, superbes, le petit mousse. Ils s’acquittent pieusement de leur dette envers Notre-Dame. Car pour ces durs marins, habitués de pères en fils au péril de la mer, et qui ne disent que « brise fraîche, » quand nous parlons de tempête, c’est proprement un miracle qu’ils soient sortis vivants de la terrible nuit, que leurs corps soient là, debout, marchant sur la terre, au milieu des hommes, des choses de toute leur vie, et non pas défaits, pourris, fondus dans l’ombre sous-marine ou souterraine.

Ils sont de ceux dont les bateaux s’appellent Marie Dieu-te-protège, ou bien Marche-avec-Dieu. Ils n’ont pas subi l’influence des nouvelles propagandes de révolte, si actives en certains ports de pêche, où l’usine à sardines a déjà mis l’atmosphère industrielle. Et leur religion est celle des marins, non pas seulement faite d’habitude et d’obéissance à la tradition, comme si souvent celle des paysans, mais du sentiment des puissances qui les dépassent, et chaque jour décident pour eux leurs risques et leurs chances. Beaucoup d’entre eux, a l’instant de jeter leurs filets, ôtent leurs bérets et se signent, et, dans la saison, il y a peu de matins où un équipage ne demande au recteur une messe pour le succès de la pêche.

Un de leurs prêtres me décrivait une telle messe, à l’heure où l’aube naît à peine : tous les hommes debout devant l’autel, un rang de grand gars, en cirés, en bottes de mer, « chique en bouche, » et qui se sauvent avant la fin pour ne pas manquer la marée. « Vingt minutes après, ajoutait-il, je vois leurs deux voiles qui courent entre les roches de Kerity,