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Joie, l’oratoire solitaire qui fait partie, comme les roches voisines, de leur horizon de pêcheurs, et qu’ils ont regardé, tous les jours, comme leurs pères, en cherchant leurs alignements.

Et maintenant, les voilà au milieu des leurs, dans la chapelle où tous ces aïeux sont venus dans les autres siècles, à la même date de l’année. Ombre tiède ici, sensation de bon refuge humain, sous la primitive toiture dont la grande aile a pris et couve tout ce petit monde. Le recteur est près d’eux, en rochet, paternel, et qui les encourage. Il leur tape amicalement sur l’épaule, en les appelant : Va zud, — « mes hommes. » Leurs femmes aussi sont là : elles finissent de les mettre en tenue votive, leur enlèvent vestes et gilets. Beaucoup d’autres femmes aussi, des mères, des grand’mères bigoudens, mais pas de jeunes filles : une tradition de bienséance s’y oppose.

Par un guichet, on voit la nef de l’autre côté du mur. Elle est déjà pleine, et dans cette ombre plus claire, sous les ors et les flammes du chœur, j’aperçois la joaillerie serrée des têtes féminines (les hommes se tiennent à part). Que c’est nombreux, et riche, et grave, cette assemblée de têtes pareilles, dont les rangs vont se perdant dans l’ombre ! Et comme on sent un peuple ! En avant, dans une stalle du chœur, une admirable figure de vieux s’éclairait. Une figure de type ancien, dont le front luisait comme un jaune ivoire, au jaune rayonnement des cires.


J’ai gagné la nef pour me mêler à eux tous. Au dehors, près du petit porche, il fallait traverser les lignes de pèlerins agenouillés sur le parvis de terre, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Des murailles de des bigoudens, impénétrables, défendaient l’entrée, mais lentement, avec ténacité, des femmes arrivaient à se faufiler, et je suivais leur poussée patiente.

Venant du grand jour, on ne distingue pas grand’chose, d’abord. Seulement, là-bas, les buissons de flammes tremblantes, et ensuite, par devant, le pointillement régulier, rang sur rang, par centaines, de toutes les mitres blanches, de toutes les coques rouges, où brille quelque chose comme du cristal. Il fallait quelque temps pour distinguer les hommes, massés des deux côtés du chœur, serrés là, contre le rude mur qui verdit, par en bas, d’une mousse comme on en voit sur les galets des grèves. Une atmosphère tiède, recluse, chargée de