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comment finit la guerre.

magne par le traité de Francfort en 1871 étaient restées françaises de cœur ; même en tempérant par instants le régime de la contrainte brutale qui lui était le plus naturel, le conquérant n’avait jamais changé leur sentiment. Ce sentiment, les populations l’exprimèrent d’abord par la protestation franche contre le traité de Francfort ; puis, à mesure que le temps passait, que la nécessité de vivre s’imposait, que durait le silence forcé de la France officielle, la protestation se transforma en une revendication de l’autonomie. Au lieu d’être une sorte de colonie administrée par l’Empire, comme un pays peuplé de races inférieures auxquelles il est dangereux de laisser la moindre liberté, l’Alsace-Lorraine, terre d’Empire, eût constitué un État particulier, se gouvernant lui-même sous la suzeraineté du Kaiser, au même titre que la Bavière ou la Saxe. Mais cette prétention même apparaissait comme absolument inadmissible, car, dans un État ainsi constitué, même dans le cadre de l’Empire, les sympathies pour la France se fussent manifestées tôt ou tard, et c’était là un grave inconvénient politique ; à ce point de vue, la « terre d’Empire, » le Reichsland, était le butin conquis en commun par les peuples allemands, le ciment de l’unité imposée par le fer prussien, le symbole du principe que la force seule suffit à créer le droit ; il devait donc être conservé comme propriété collective des États allemands, et sous aucun prétexte cette possession ne pouvait s’élever au rang des Puissances qui l’avaient conquise.

En outre l’établissement d’une administration autonome eût certainement compliqué les opérations militaires dont l’éventualité était au premier rang dans les directives de la politique impériale.

Ainsi, par la logique de ses théoriciens aussi bien que par les nécessités militaires, l’Allemagne se trouvait emportée vers une politique de plus en plus tyrannique en Alsace-Lorraine comme en Pologne. Un des résultats de la guerre mondiale devait être le triomphe de cette politique, poussée jusqu’au paroxysme. L’incident de Saverne, qui n’a pas été suffisamment médité, est caractéristique de cette situation de l’Alsace-Lorraine, comme de la situation générale de l’Allemagne.

Encore après un demi-siècle, le morceau se trouvait trop difficile à digérer, même par l’estomac de l’Empire victorieux. Aussi le chancelier Hertling voulait-il le partager entre la Bavière et la Prusse. Ludendorff au contraire voulait en faire