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grave costume : lèvres rases, placides prunelles bleues, sourire de prudence et de respect, physionomie de vieux chouan satisfait, pacifique, parce qu’il a retrouvé ses anciens maîtres.

Au fond de la crique où je venais d’aborder, il me fit passer une petite digue sous une arche de verdure, et toute la Fontaine aux Lianes du poète m’apparut. Dans ce creux le plus tiède de la rive, à côté de l’eau marine et des grands chênes bretons qui la couvrent si bas, si loin, quel miracle avait déployé, perpétuait un décor de Madagascar ou de l’Ile Bourbon ?

Un bassin dormait, opposant sa courbe à la courbe, de la grève. Son eau, parmi les mousses, semblait d’ombre bleue, de ce même bleu gelé dont une goutte dort au cœur des pierres de lune ; et dans cette terne transparence, de délicates forêts d’herbes tournaient, si l’on regardait bien, au même ton mystérieux. Alentour, se suspendait une flore surprenante : des arbres géants dont j’ignore les noms, des lianes, des rideaux de feuillage déroulés, allongés de très haut jusqu’en bas, comme les plis aériens et successifs qu’une cascade étire dans l’espace, et laisse, en tombant, de plus en plus flotter. Il y avait des volubilis bleus et larges comme des papillons des tropiques ; il y avait des monceaux de roses fleurs soyeuses. Derrière la nappe d’eau, le fond n’était qu’ombre notre et foisonnement, une sorte de nuit sous des gerbes énormes et des chevelures surplombantes de bambous. Je n’en imaginais pas de pareilles en Europe. Même impression de ceux-ci, que de leurs frères démesurés de Ceylan. C’étaient les mêmes peuples serrés, le même vert pâle et tacheté de jaune, le même aspect de vie vénéneuse, pullulant hors de la boue dans une moite obscurité.

Cette atmosphère de serre semblait appeler des fougères arborescentes. Je n’eus pas à chercher loin les étranges créatures. Il y en avait trois devant moi, déployant leurs fraîches ombelles dentelées, sur leurs tiges épaisses de feutre.

Un jour immobile et glauque règne partout dans cette ombre, reflété avec les lianes, les bambous, les longs flots retombants de feuillage, parmi les herbes de l’étang. Images ternies, avachies, presque irréelles, comme celles qui flottent et verdissent dans un miroir usé, et semblent les fantômes lointains du Souvenir.

A peine si la fontaine remuait l’un des bords de l’étang. Elle ruisselait de haut, presque sans bruit, sur des pentes