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France « perverse, » tel était le thème répandu par les incendiaires de Louvain, les destructeurs de Reims, les naufrageurs de la Lusitania. Et voici que le Pape répond en désignant l’héroïne française et la France à l’admiration de l’univers ! Un étranger me disait : « Grande victoire morale pour la France ! Tout est effacé ! »

Victoire morale ! Il s’agit de tout autre chose, en effet, que d’intérêts matériels et de concurrences économiques : il s’agit du sens profond des choses humaines. Car, nous ne vivons pas pour commercer ou pour gagner ; nous vivons pour nous élever et pour élever, par nos enfants, l’humanité. La civilisation a pour principe, non le profit, mais la justice, non la haine, mais la charité.

Qui est dans le vrai : Jeanne d’Arc ou ses bourreaux ? Voilà le vrai problème, et il ne comporte qu’une réponse. Cauchon était persuadé qu’il faisait une très bonne affaire en brûlant Jeanne pour le compte des Anglais. Il a touché sa récompense. La bourse lui paraissait lourde et sa conscience légère. Or, cet habile homme s’est trompé. Sa victime triomphe. Les Anglais eux-mêmes sont venus à Rome le reconnaître loyalement. Ils ont admis, par leur présence, que le verdict qui a condamné Jeanne était l’œuvre d’une politique misérable et méprisable, tandis que celui qui la sanctifiait émanait d’une autorité haute et juste. La Papauté, seule dans le monde, dispose d’un tel pouvoir.


Ce pas étant franchi, il ne paraît pas douteux que, par les vertus de Jeanne d’Arc, d’autres bienfaits ne puissent être obtenus. L’ « intellect actif » n’a pas influencé uniquement les heures de Reims. Le bon sens de Jeanne d’Arc, sa sagesse, son courage, porteront leurs effets sur les âges futurs, comme ils les portent, sous nos yeux, dans les temps présents. Ainsi s’est perpétué et se perpétuera le « miracle français. »

C’est le cours de l’histoire : après cinq siècles, elle retrouve les mêmes voies. La France a sauvé l’équilibre européen et la civilisation méditerranéenne au XVe siècle et, au XXe siècle, elle les sauve encore. Cela veut dire que, par sa situation et par son génie, la France se dresse contre toutes les puissances dominatrices ; encore une fois, universelle et catholique dans le sens profond du mot. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a dit : Gesta Dei per Francos.