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C’est que la justice est l’affaire de tous les hommes.

Cherchez quelque autre raison de ce mouvement universel vers la figure de Jeanne d’Arc. Pourquoi cette vénération unique ? Est-ce parce qu’elle était pure ? Mais d’autres l’ont été. Est-ce parce qu’elle était brave ? D’autres l’ont été. Est-ce parce qu’elle a bien servi son pays ? Mais cela intéresse le pays qu’elle a sauvé. Est-ce parce qu’elle a souffert ? D’autres aussi ont souffert, et les antipodes sont restés indifférents. Il faut en revenir à la seule raison valable : c’est qu’il s’agissait de réparer une faute consciente de la politique contre le Juste. Que ceux qui parlent et agissent au nom du droit, c’est-à-dire les gouvernements et les juges, aient eu ce tort, et que dans la forme des lois, ils aient commis un tel crime, voilà ce qui ne se peut supporter. Le bûcher de Rouen avait répandu ses cendres brûlantes dans toutes les consciences humaines et ce n’était que par la plus insigne des réparations qu’elles pouvaient être éteintes.

L’on sent assez que l’assassinat commis par les hommes d’Etat du XVIIIe siècle qui ont étranglé et dépecé la Pologne n’est pas sans analogie avec le crime contre Jeanne d’Arc : c’est aussi pour des raisons politiques qu’une atteinte au Juste s’est produite, et l’on sera frappé du fait que, de notre temps, les trois dynasties qui y ont participé ont succombé d’un seul coup.

Et l’on sent bien aussi, qu’un jour ou l’autre, les initiateurs de la guerre régressive, les violateurs de la neutralité belge, les assassins de miss Cawell, paieront extraordinairement. A quelle heure, de quelle façon ? Nul ne le sait. En vain le traité de Versailles a essayé de prononcer la peine — sans doute prématurément. Laissez la conscience des hommes à elle-même. Laissez les années ou les siècles. La justice est boiteuse ; mais elle arrive. Un jour ou un autre jour, l’ordre que Montesquieu appelle l’ordre juste sera rétabli.


Par qui ? Telle est la seconde question. Elle revient à celle-ci : « Par qui les saints ? »

Les « Saints » sont déclarés d’abord par la foule, ensuite par les tenants de l’idéal auquel ils s’attachaient eux-mêmes, enfin par les institutions chargées de défendre et de propager cet idéal.

Les anciens avaient pratiqué à leur façon « l’apothéose : » mais combien étroite, officielle et, si j’ose dire, administrative