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Chambres elles-mêmes et si jamais les Chambres sont saisies de ce projet inique, qui priverait de ressources indispensables les régions dévastées, un accueil assez froid sera, j’imagine, réservé à une combinaison qui fait de la France créancière une prêteuse malgré elle.

Mais le principal danger vient de ce qu’il y a, dans la décision de Spa, un recul inexplicable par rapport à la position qu’avait prise, à Paris, la Commission des réparations. Le jour même où, pour appliquer le traité, nous devions recourir à des sanctions immédiates, nous les avons ajournées à trois mois. Personne assurément ne rend M. Millerand responsable de cette fâcheuse retraite. Le traité prévoit des sanctions, mais ne les spécifie pas. Pour les appliquer dans les conditions recommandées par la Commission, c’est-à-dire d’accord avec les Alliés, il fallait pressentir les gouvernements, et quelques-uns de nos amis étaient toujours tentés de renvoyer au lendemain l’emploi de la manière forte. Le protocole de Spa a, du moins, précisé les sanctions que le traité laissait dans le vague. Par-là, il ne nous a donné aucun droit nouveau vis-à-vis de l’Allemagne et nous n’aurions pas dû, par conséquent, accepter, sur ce point, les réserves du docteur von Simons. C’est vis-à-vis des Alliés que la précision du protocole nous offre un avantage : ils admettent aujourd’hui publiquement que, si l’Allemagne ne nous livre pas en trois mois les quantités de charbon prévues, nous occuperons la Ruhr ou toute autre partie du territoire allemand. Cette sanctionne sera malheureusement pas automatique; il restera nécessaire de s’entendre, entre alliés, sur la région à occuper, sur la date, sur les modalités ; nous ne pouvons néanmoins mépriser le résultat obtenu. Pourquoi faut-il seulement que nous le payions si cher ?

A la Chambre, MM. Blum, Loucheur et Tardieu ont assez vivement interrogé M. Millerand sur les singularités de cette convention. Le Président du Conseil a posé la question de confiance et le débat a fini par prendre la tournure d’un conflit personnel entre ceux qui ont négocié le traité de Versailles et ceux qui sont aujourd’hui chargés de l’exécuter. L’heure n’est cependant favorable ni aux satires ni aux apologies. Prenons les faits tels qu’ils sont et tirons-en le meilleur parti possible. Nous avons un instrument diplomatique. Servons-nous en pour rappeler à nos alliés leurs engagements, aussi bien qu’à nos anciens ennemis leurs obligations. Si la paix de Versailles implique une création continue, tâchons de créer et ne démolissons pas.

Par malheur, c’est le monde entier qui reste à créer, car c’est là