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quelques précautions. Pour avoir dit dans un pays agricole que presque toute la bourgeoisie locale est d’origine paysanne, un conférencier éprouve quelques ennuis. Un médecin, chargé d’examiner l’aptitude physique des jeunes filles qui se présentent à l’école normale, demande à toutes celles dont les parents travaillent la terre si elles n’y ont pas elles-mêmes travaillé, par exemple sarclé, fané. Toutes de répondre vivement par la négative. Visiblement elles croient qu’une réponse contraire leur serait défavorable dans la maison où elles veulent entrer. Mais les idées évoluent, entraînent tout le monde. Le paysan se relève de sa longue et héréditaire humiliation ; l’homme et le mot prennent de la dignité. Il est possible qu’à l’avenir les jeunes maîtresses qui sortiront de l’école revendiqueront comme un honneur d’avoir sarclé et fané.


VI

Voilà donc les trois fiertés — richesse, machine, science, — qui donnent à l’âme paysanne une haute estime d’elle-même. La conscience d’avoir tenu le premier rang dans la bataille ne diminue pas cette estime. En somme, au lendemain de la guerre, nous avons une paysannerie plus attachée que jamais à la terre et à son métier. Elle est, hélas ! cruellement réduite dans sa force vive, décapitée dans sa fleur. Si l’on compte les morts, les mutilés, les malades, tous ceux que la longueur de la guerre aura conduits à la défection, il lui manque peut-être deux millions de travailleurs. La machine, nous dit-on, les remplacera. Soit : que deviendrions-nous sans elle ? Mais la machine ne peut pas tout faire. Il nous faut des paysans, de vrais paysans. Plus nous en aurons, et plus la culture s’étendra sur les terres délaissées, s’intensifiera sur les autres. À ce prix la vie deviendra facile pour tous, notre change se relèvera, la France rétablira sa fortune et sa prospérité. Dans la concurrence effrénée, qui va se déchaîner entre les peuples, amis ou ennemis d’hier, la terre reste notre premier instrument de lutte, notre grande ressource.

Que faire donc ? D’abord appeler et fixer les jeunes à la terre, faire naître et exalter la vocation paysanne. Nous avons par deux fois ici même étudié la question, la posant où il faut qu’elle soit posée, devant la petite école du village. Cette école