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humilièrent la pensée française devant celle de l’Allemagne qu’ils nous pressèrent de prendre pour modèle et pour guide. Sous prétexte de dérober à l’ennemi ses armes, ils précisèrent et aggravèrent notre accablement. L’humiliation dura longtemps dont nous reçûmes grand dommage. Vers la fin, grâce aux jeunes, on s’en était relevé. Mais, en août 1914, la supériorité native des Allemands, folie qui leur fut offerte par notre compatriote Gobineau, était encore un dogme pour certains attardés de chez nous, qui ne croyaient pas l’être, et il a nourri pendant la guerre leur défaitisme secret.

Dès les premiers combats, nos soldats éprouvèrent la haute valeur de l’organisation ennemie, mais ils eurent nettement l’impression de valoir, homme pour homme, autant que les Allemands. Bientôt, quand sur les différents champs de bataille de la Marne le mot de victoire passa du bouche en bouche, il leur fut raisonnable de penser qu’ils valaient même un peu plus. Pendant l’interminable et énervante guerre de tranchées, ils ont dit bien souvent : « Qu’ils sortent donc et on verra. » Si, par un retour aux temps fabuleux, les deux armées avaient décidé de s’en remettre au sort d’un combat singulier entre deux troupes choisies, les nôtres seraient parties avec une foi superbe dans la victoire. En somme, au cours de cette guerre, jamais le soldat allemand n’a pris d’ascendant sur le soldat français, et, dans le combat lui-même, tout se réduit en dernière analyse à ce point de psychologie.

Et ce point ne laisse pas d’avoir grande importance pour l’avenir. On ne pense pas seulement à la possibilité d’une guerre nouvelle, — éloignons ce présage, — mais à toutes les luttes qui vont s’ouvrir avec la paix. Désormais quand on nous parlera de quelque prodige allemand, à propos de machines agricoles ou de procédés culturaux, le moindre paysan répondra : « Ce que les Allemands ont fait les Français le peuvent faire, puisque dans la guerre, qui est leur partie, nous avons été plus forts qu’eux. » Une semblable tonicité est bonne, bienfaisante dans la pensée commune.

À ces deux idées, flatteuses pour l’âme, une autre se vient joindre qui ne l’est guère moins, amenée, non par la guerre elle-même, mais par un des premiers troubles qu’elle a fait naître. Le paysan est l’homme le plus laborieux qui soit, il n’arrête jamais, « allant, comme il dit, d’une chose à l’autre ; » si l’orage