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Quelle surprise, avec ces souvenirs, ces habitudes, et venant justement de Brest, de découvrir cette autre Bretagne, si différente, et pourtant toujours si bretonne ! Bretonne par son intime gravité, par les significations toutes spirituelles de ses paysages, — différente par l’enveloppante douceur, l’ombre verte de ses retraites, les parfums et les murmures de ses bois, par ce qu’on y sent aussi, chez les humains, de plus facile, de plus heureux. Douce terre de Cornouaille, terre des grands châtaigniers, des costumes bleu et or des glaziks, des danses a tout propos, — de mariages, naissances, baptêmes, pardons, — à la musique des bombardes et binious.

Je venais de la mer. C’était le soir, après le soleil couché : un de ces interminables et blancs crépuscules de Juin, où le monde, et même le cercle des eaux, semblent participer au mystérieux d’une heure à la fois si tardive et si claire. Une heure qui, ce jour-là, ne semblait plus devoir passer, où tout allait s’éterniser dans cette lumière spectrale, universelle et sans foyer. Le temps était au beau fixe ; les vents faisant, comme il arrive alors, le tour du compas, étaient remontés au Nord pour la nuit. Un reste de boule soulevait longuement, sans la rompre, la placidité de l’élément, où l’on voyait passer un infini de petites méduses dormantes. La côte s’allongeait devant nous, basse et continue, sans une bâtisse, sans un accident, — simplement la terre, bleue de ses bois et de ses campagnes.

Et tout d’un coup, le vent se parfuma comme d’une odeur de foins et de reines des prés. Glissant sur l’étendue lustrée, après avoir traversé toute la pointe de la péninsule, il nous arrivait chargé de la senteur des châtaigniers en fleurs et des fenaisons. Senteur vespérale, plus exquise, étrange sur les grands miroirs ondulants où l’on ne respire que le sel et l’iode. Et puis, très lointaine, la voix du coucou sonna par-dessus tout l’intervalle des eaux : les deux notes brèves de hautbois, répétées inlassablement, éveillant le sentiment du jeune été, des secrètes profondeurs sylvestres, de l’heureuse campagne, au moment fragile et parfait de l’année où toute herbe et toute feuille, ayant fini de se déplier et de grandir, est fraîche encore, droite et luisante de vie nouvelle.

A un mille de terre, rien n’indiquait une ouverture, une lacune dans la bande bleutée de la côte. Il fallut arriver sous