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chose qu’à être heureux et amoureux ! » Et il ajoutait : « Mozart n’a pas songé à autre chose. » Assurément, le musicien, le divin musicien qu’était Mozart. Mais l’homme, l’homme infortuné qu’il était aussi, comment aurait-il pu, malgré son amour pour sa chère Constance, ne pas songer à sa misère !

Trois mois après Cosi fan tutte, il écrit à un ami : « Je vous prie seulement de considérer ma situation sous toutes ses faces, d’avoir compassion de ma sincère amitié et de ma confiance en vous, et de me pardonner ; mais si vous voulez bien et si vous pouvez m’arracher à un embarras actuel, faites-le, pour l’amour de Dieu. »

Mozart.


Au même, le mois suivant :

« Vous connaissez ma situation : bref, je suis contraint, ne trouvant pas un seul ami véritable, d’emprunter de l’argent aux usuriers. Si vous saviez quel tourment et quelle préoccupation tout cela me cause… Cela m’a empêché tous ces temps-ci de terminer mes quatuors…

Mozart.

« P. S. — J’ai maintenant deux élèves ; je voudrais bien augmenter ce nombre jusqu’à huit. Tâchez de répandre partout que j’accepte de donner des leçons[1]. »

Ainsi, toujours ainsi, l’œuvre de Mozart est le contraire de sa vie. Celle-ci ne fut que souffrance et l’autre ne respire que le bonheur. Mozart ne fait pas de son art le confident et le témoin de sa peine. Il le garde souriant et serein, au-dessus de l’épreuve, à l’abri des larmes. Et parce que jamais il ne se raconte, ne se plaint, ne se pleure, Mozart est peut-être le plus classique des musiciens.

Il en est peut-être aussi le plus universel. Entendez par-là que dans un opéra de Mozart, musique de chant et d’orchestre, de chambre et de symphonie, de théâtre et de concert, toute musique enfin, toute la musique est rassemblée. Et la beauté de cette musique n’est pas seulement partout, elle est toujours. Du commencement à la fin, Cosi fan tutte est un miracle continu et continuellement renouvelé. Miracle d’esprit, c’est-à-dire de verve, de malice, d’ironie aimable et légère ; miracle de l’esprit, autrement dit de l’intelligence. Par celle-ci même, par les éléments ou les vertus purement spirituelles,

  1. Lettres de Mozart, traduction de Curzon.