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tophe, ou Porte-Christ, et déjà, dans la main du baptisé, le tronc d’un sapin qui soutenait ses pas, et tous les arbres de la forêt, se fleurissent de roses.

Après la conversion, le martyre. Mais auparavant Christophe prisonnier va subir une épreuve dernière. Le Roi de l’Or, devenu le « Grand juge, » avait depuis longtemps promis son âme au Prince du Mal. Il ne demanderait pas mieux aujourd’hui que de lui livrer en échange l’âme de Christophe. À cet effet il enjoint à la Dame de Volupté, demeurée sa captive, d’aller retrouver et reprendre l’homme qu’elle aima naguère et qu’elle aime toujours. Tentative, ou tentation vaine. Tout au contraire, gagnée par celui qu’elle venait perdre, c’est en pénitente, en chrétienne et sous le nouveau nom de Nicéa, (Victoire), que la pécheresse accompagne Christophe à la mort. Elle s’agenouille près de lui, et quand la tête est tombée sous le glaive, en ses voiles blancs tachés de pourpre, elle se relève, rougie et baptisée du sang du martyr.

Ce poème, en prose, et trop souvent en la plus prosaïque des proses, comprend, un peu comme un Tannhäuser, un Parsifal, un Fervaal, même, deux moitiés opposées. La première appartient à la chair et la suivante à l’esprit. Poète et musicien, M. d’Indy fait ici l’ange et la bête. C’est peut-être l’ange qu’il fait le mieux. Ni le diable ni l’or ne l’ont inspiré, ni la femme. Il est plus à son aise dans la piété que dans la débauche. La Dame de Volupté pourrait lui dire : « Lascia le donne e studia la matematica. » À quoi M. d’Indy ne manquerait pas, et nous avec lui, de répondre que, pour la mathématique musicale, il l’a suffisamment étudiée. Il la possède à fond ; il en est, et depuis longtemps, un des maîtres. S’il est vrai, comme d’aucuns l’assurent, que la Légende de saint Christophe soit un chef-d’œuvre, ce pourrait bien n’en être un que de science, ou de technique, ou de métier. Et sans doute ce serait déjà quelque chose.

Mais le reste, ah ! le reste, qui manque à cette musique, cela non plus n’est pas rien. Le reste, c’est d’abord l’idée, et vous savez très bien, et chacun sait comme vous, comme nous, ce que le mot veut dire. Pour former une idée, une idée musicale, il n’est pas toujours besoin de beaucoup de musique. Trois ou quatre notes y peuvent suffire, témoin, — nous prenons un exemple au hasard, — le thème fondamental du premier morceau de la symphonie en ut mineur. Plus près de nous, il faut moins encore, deux notes seules, un accent, au Fauré de Pénélope, pour évoquer, sous des aspects changeants, absente ou reparue, héroïque ou tendre, la figure d’Ulysse. Mais si