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Ces premiers vestiges de la conquête française devraient avoir pour nous la signification et le prix d’une relique de famille. Et pourtant, à voir ce que les conquérants ont fait de l’Alger barbaresque, on se prend à regretter leur zèle de constructeurs et leur cruauté de démolisseurs. Ce sont eux qui ont commencé à saccager la ville blanche dépeinte par Fromentin, la ville aux fontaines de marbre et de stuc, aux cent mosquées et aux quinze mille maisons, si pressées les unes contre les autre ; qu’elles ressemblaient « aux écailles d’une pomme de pin. » Cette ville des corsaires a été tellement éventrée et mutilée que le touriste rapide s’imagine qu’il n’en reste plus rien.

Dieu merci ! ce qui en subsiste est encore assez considérable, — et d’une couleur et d’un style assez uniques pour forcer l’attention et l’émerveillement du passant. Il suffit de chercher et de regarder : on est tout de suite récompensé de sa peine. Et je ne parle pas seulement des anciennes rues de la haute ville, mais du quartier de la vieille Préfecture, des palais qui bordent le boulevard de l’Amirauté et où l’on a logé des administrations militaires. La Casbah proprement dite, l’ancienne demeure du Dey, la forteresse d’où il dominait sa ville, a été brutalement coupée en deux tronçons, — le Génie l’a enfermée dans des murailles modernes qui en rompant l’ordonnance primitive, — et ou en a fait une caserne de zouaves. A l’intérieur, une mosquée d’un fort beau caractère, surmontée d’une coupole, ornée d’un mihrab et d’une colonnade de marbre blanc, est devenue la salle des fêtes et la salle de bal du Régiment. Dans le bâtiment principal, sur la dernière des galeries superposées qui entourent le patio, s’ouvre le fameux pavillon de l’Eventail, celui où le Dey Hussein frappa au visage le Consul de France ; ce qui fut la cause occasionnelle ou le prétexte de l’Expédition de 1830. Les boiseries peintes de ce lieu historique, d’ailleurs fort vermoulues, achèvent de se flétrir et de s’encrasser sous la poussière. Tout cela laisse une impression navrante non seulement d’abandon, d’ingratitude et d’oubli, mais d’inconsciente profanation. Cette casbah aurait dû être sauvée pieusement par les municipalités algériennes. On devrait la restaurer, la rétablir dans son plan primitif, et en faire le grand musée de tous les souvenirs algériens, où l’on verrait comme un résumé de l’histoire du pays, depuis les poteries puniques de Gouraya, en passant par les mosaïques, les statuettes et les statues romaines de