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l’Occident latin. Il a fallu l’éclipse momentanée de Rome, ou de la latinité, pour que l’Orient byzantin, arabe ou turc, y implantât sa domination. Dès que l’Orient faiblit, l’Afrique du Nord retombe à son anarchie congénitale, ou bien elle retourne à l’hégémonie latine, qui lui a valu des siècles de prospérité, une prospérité qu’elle n’avait jamais connue auparavant, — et qui, enfin, lui a donné pour la première fois un semblant d’unité, une personnalité politique et intellectuelle.

L’Arabe ne lui apporta que la misère, l’anarchie et la barbarie. Tout lui est venu du dehors, de la Syrie, de la Perse, de la Grèce byzantine, mais principalement des pays latins. Il a fallu des siècles d’Islam, les dévastations des Arabes et des Nomades pour détruire chez elle l’œuvre agricole et monumentale des Carthaginois et des Romains. Les vrais fils de la terre, les Berbères indigènes, ont résisté de leur mieux à l’envahisseur asiatique et oriental. Jusqu’au XIIe siècle, en Algérie, en Tunisie, au Maroc, les royaumes berbères se sont efforcés de maintenir les traditions de l’administration romaine.

Mais, même après la seconde invasion arabe, tout le matériel de la civilisation romaine a subsisté : le costume, les bijoux, les bains, les bâtisses, les universités, les mosquées, tout cela continue à suivre le vieux modèle latin. Le prototype peut s’atténuer sous l’arabesque et la fioriture des mœurs nouvelles : il en demeure, au fond, l’armature immuable. Cela reste vrai encore sous le régime turc. L’Algérie des corsaires et des mercenaires, la plupart renégats venus de tous les pays méditerranéens, cette Afrique d’avant la conquête française, est aussi toute pénétrée de latinité. Ce sont des architectes, des peintres, des sculpteurs, et des mosaïstes italiens qui construisent et qui décorent les palais, les villas, les maisons barbaresques. Sous un léger travestissement levantin, nos pendules, nos garnitures de cheminée, notre mobilier, toute notre camelote pénètre dans les petites chambres ombreuses, tapissées de faïences exotiques. Tout le reste, c’est l’éternel décor gréco-romain à peine modernisé. Comme nous en avons perdu le souvenir, nous croyons que tout cela est arabe ou turc, ou, pour prendre un mot qui ravit irrésistiblement nos imaginations et qui nous fait perdre la tête, — oriental.

Ces pressentiments revêtaient pour moi une évidence éclatante lorsque j’errais parmi les thermes, les nymphées, les