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cherchai l’Algérie vivante, active, celle de l’avenir. Les indigènes de ce temps-là restaient généralement à l’écart de l’activité européenne. Ils boudaient la peine et surtout le contact avec le roumi détesté. Aujourd’hui, une foule de métiers envahis par eux n’étaient exercés que par des Provençaux, des Espagnols, des Italiens, des Maltais.

Et puis, derrière cette masse grouillante d’immigrants, en blouses bleues, en tailloles rouges, en bérets et en espadrilles, rien qu’à suivre l’exode de ces errants, j’entrevis bientôt les profondeurs vermeilles du Sud, les possibilités indéfinies de notre conquête. L’Aventure, la Route me tentèrent. Le Routier qui cheminait sans contrainte et sans maître, pendant des lieues et des lieues, des jours et des nuits, à travers les steppes des Hauts-Plateaux, les sables pleins de surprises et de mirages des régions sahariennes, — qui ravitaillait les villages, les fermes, les postes perdus du désert, qui charriait les engins du civilisé par-delà les ultimes confins de la barbarie, les matériaux et les outils qui serviraient à construire les voies nouvelles, les forteresses et les villes futures, — le Routier m’apparut presque comme un héros, un être de liberté, de gloire et de joie. Cette ivresse des espaces, cet élan un peu fou vers l’aventure et vers l’inconnu, comme c’était bon au sortir des livres ! Je m’évadai voluptueusement de mon étouffoir. Je lâchai avec délices les affreux bonshommes qui mettaient sur tout leur éteignoir funèbre. Rafaël, Pépète, Balthasar et leurs compagnons devinrent mes amis…

Ces êtres violents et compliqués, qui ne paraissent simples qu’à ceux qui ne les ont pas assez pénétrés, ces hommes farouches me choquèrent d’abord par leur rudesse, par une apparence de barbarie. Et voici que, sous ce prétendu barbare, je découvrais peu à peu l’éternel Méditerranéen, avec son goût irréductible pour les odyssées de la Route et de la Mer, — pour la vie en parade et en beauté, pour le labeur harmonieux qui ne brise pas les corps et qui n’avilit pas les âmes, son respect de la famille, du père, de l’enfant, de l’épouse féconde, des rites immémoriaux de la naissance, du mariage, de la mort et de la sépulture, — son sens très vif et très jaloux de l’indépendance et de la valeur individuelle. C’était encore le moment où les textes antiques étaient journellement entre mes mains, ou, par métier comme par goût, je les lisais assidûment et les commentais.