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(et c’est à partir de là qu’ils ont fait tort à l’équité et à la vérité historique), pour rehausser le mérite de leurs propres généraux et leur réserver exclusivement celui d’avoir arrêté l’offensive austro-allemande, ils ont imaginé la légende, qui attribue au maréchal Foch une opinion et un rôle de pure fantaisie. Le chef d’État-major général français n’aurait pas cru alors à la possibilité de résister définitivement sur la Piave ; s’attendant à ce que cette ligne fut forcée, il ne l’aurait considérée comme bonne qu’à marquer un temps d’arrêt ; tenant pour inévitable ou nécessaire la continuation de la retraite, ce serait dans la ligne du Pô et du Mincio qu’il aurait vu la barrière, derrière laquelle l’invasion pourrait être contenue. Ainsi serait-ce contre son avis, sinon même contre son gré, que la résistance définitive aurait été organisée, entreprise et menée à bien sur la Piave. L’honneur, auquel le maréchal Foch n’aurait aucun droit, en reviendrait exclusivement, non pas même au général Diaz, mais au général Cadorna.

Cette thèse a été exposée à diverses reprises en Italie dans des articles de journaux et dans des brochures. Elle vient de l’être, avec quelques variantes et atténuations, dans un opuscule[1] qui s’inspire d’ailleurs d’une pensée louable et équitable : celle de défendre le général Cadorna contre des critiques souvent imméritées. L’auteur, M. Ezio Gray, proteste contre l’injustice « qui enlève au général Cadorna le mérite d’avoir décidé de résister sur la Piave, pour l’attribuer tantôt à Foch, tantôt au nouveau Comando-Supremo.[2] »


La décision, dit-il, de résister sur la Piave jusqu’au dernier homme ne vint, à l’origine, ni de Foch, ni de Diaz, ni de Badoglio, qui n’était pas encore au Comando Supremo et n’y arriva que le 7 novembre. Quant à Foch, qui arriva à grand fracas à Trévise et trouva dans Cadorna un homme d’une dignité parfaite, désireux, même dans la débâcle, de ne pas permettre à l’allié des allures de sauveur et d’arbitre ne répondant en ce moment ni à l’aide effective, ni même à l’intention d’employer immédiatement les moyens dont on disposait. Quant à Foch, il approuva le projet de Cadorna de résister sur la Piave : mais il ne voulut pas compromettre ses troupes

  1. Il processo di Cadorna. Par M. Ezio Gray, chez Bemporad à Florence.
  2. C’est-à-dire au nouveau G. Q. G. italien, à la tête duquel avait été placé le général Diaz, avec deux sous-chefs d’état-major général, les généraux Badoglio et Giardino.