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autres ; c’est l’erreur qu’ils n’arrivent pas à ne point commettre : et c’est le mensonge.

La quantité de crime et de chagrin qu’il y a en ce monde résulte du mensonge. Et M. Pierre Mille n’est pas un de ces réformateurs qui se proposent d’amender le genre humain ni de lui rendre la vie à jamais délicieuse. Il ne compte pas corriger l’univers. Mais tout ce qu’il a vu de fausseté par le monde lui a donné le goût très vif et la passion de la vérité. Son art de conteur est marqué de cette passion.

Quand il examinait, en Palestine ou au Tonkin, les colonies allemandes ou le système des canaux les plus opportuns, il apportait à son étude la méthode la plus attentive et n’épargnait point une recherche méticuleuse. Dans la relation de son voyage au Congo belge, il a noté ce qu’il a vu, il s’est méfié de ce qu’on lui racontait et il écrit : « Je ne comprends que ce que j’ai vu. » C’est pour avoir vu, pour avoir compris et pour être sûr, qu’il a subi les dures fatigues des chevauchées, des marches et des navigations en pays redoutables. Au printemps de l’année 1897, il a suivi l’armée turque à la guerre et il a rapporté de son expédition très incommode ce charmant livre. De Thessalie en Crète, où abondent les beaux paysages, les anecdotes significatives et les renseignements précieux. Il expliquait la guerre et il n’a pas fait de la stratégie son étude particulière. Il exposait la situation créée par l’intrigue des diplomates et il n’était pas dans le dernier secret des chancelleries balkaniques. Du moins, disait-il, « je me suis gardé de rien tirer de mon propre fonds, ayant lâché seulement d’éviter les gens qui mentent. Je peins ou je répète ce que j’ai entendu, en classant les faits et les êtres, en les plaçant de façon qu’ils s’éclairent réciproquement. » La mise en contact des gens et des événements équivalait à une sorte de contrôle ; et beaucoup de prudence donnait le plus de vérité possible.

Conteur ensuite, il eut le même souci de la vérité. Il raconte, dans Barnavaux et quelques femmes, l’histoire de Marie-faite-en-fer, une fille de rien qu’on a menée à Port-Ferry et qui là-bas continue d’être une fille de rien, mais une espèce de sainte aussi, dévouée jusqu’à l’héroïsme et bonne jusqu’à l’oubli complet de soi. C’est une extraordinaire histoire et telle qu’il y en a dans les vieux livres de légendes. « Et je ne veux pas affirmer qu’elle mourut d’amour. Il est très vrai qu’on meurt quelquefois d’amour ; mais je ne veux rien dire dont je ne sois tout à fait sûr, et si la grande passion pour le major Roger, que Marie-faite-en fer entretint silencieusement dans son cœur, fut pour quelque chose dans sa fin, elle ne l’a jamais avoué à personne et c’est