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que serait-ce, qu’une vision vaine ? » Jules Lemaître avait besoin de se rappeler ces maximes d’une sagesse incontestable, pour redevenir casanier sans regret, quand la lecture de Loti l’avait tenté de connaître les pays estranges et d’agrandir par ce moyen son rêve de la vie.

Or, Jules Lemaître songeait : « Loti sera un des rares hommes qui auront habité toute une planète ; moi, je mourrai n’ayant habité qu’une ville, tout au plus une province ! » Mais, le chagrin que cette pensée lui procurait, l’Imitation l’en consolait, parce qu’au surplus il n’aimait pas le remuement. L’Imitation ni les propos ou l’exemple d’un hodja qui depuis quarante ans négligeait de regarder le paysage de la Corne d’Or pour contempler la cendre d’un foyer toujours éteint n’ont persuadé M. Pierre Mille, grand voyageur et qui s’est promené par tous les chemins d’ici-bas. Il faut à la sagesse, pour nous convaincre, une coïncidence de ses maximes et de nos prédilections.

M. Pierre Mille a parcouru la « vaste terre, » l’Asie, l’Afrique ; et plusieurs de ses voyages lui mériteraient le renom d’un explorateur. Il a publié quelque douze volumes de contes charmants ou admirables ; mais il est beaucoup plus fier de savoir que l’Atlas Vidal-Lablache fait, pour le Tonkin, mention d’un itinéraire de lui, dans la région septentrionale et vers la frontière de Chine. On doit compter, parmi ses œuvres importantes, deux études qu’il a données en 1899 et en 1903 aux très savantes Annales de géographie : l’une qui a trait aux Colonies juives et allemandes de Palestine, l’autre à divers projets de canaux de navigation et d’irrigation en Indo-Chine. Ce sont de remarquables études, riches d’information nouvelle et de chiffres éloquents, dépourvues de toute ironie et de plaisante gaieté. A peine y reconnaît-on par endroits l’ingénieux écrivain dont le badinage est célèbre. Pour expliquer ce que furent, au commencement, les colonies allemandes qu’avait conduites en Palestine un Wurtembergeois nommé Hoffmann, prêcheur mystique et annonciateur du dernier jour, il les appelle des « couvents de gens mariés » ou communautés de « moines qui se reproduisent. » D’ailleurs, le gouvernement de Berlin ne négligeait pas de seconder ces colonies plus ou moins religieuses, quelques centaines d’individus qui bientôt lui seront une base d’influence. M. Pierre Mille, voici vingt ans de cela, notait l’intrusion d’un élément boche dans un pays où nous avions de bonnes raisons de nous croire prépondérants. « Peut-être la France… » ajoutait-il ; et il invitait nos maîtres à profiter de cet avertissement.

Ses études relatives au Congo belge ont encore plus de portée. Il