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problème et de se demander ce qu’eût fait l’Allemagne victorieuse vis-à-vis des Alliés. Pour ce faire, nous ne sommes pas réduits aux hypothèses. Une abondante littérature a fleuri chez nos ennemis, dès avant la guerre, et surtout après qu’elle eut éclaté, qui ne nous laisse aucun doute sur leurs projets. Ces livres, ces brochures, ces innombrables articles de revues et de journaux, s’orientaient vers deux ordres d’idées à propos desquels ils étaient unanimes. En premier lieu, ils demandaient que la guerre fût menée avec toute la brutalité possible ; il fallait non seulement détruire les armées et les flottes, mais ruiner de fond en comble les pays eux-mêmes, terroriser, décimer les populations civiles, les réduire en esclavage, anéantir les maisons, les usines, les mines, de façon à écarter, pour une longue période, toute possibilité de concurrence économique de la part des régions envahies et occupées par les armées allemandes. Le second objectif était une paix de conquête, de domination, qui assurât à la Germanie l’hégémonie du monde. Nous allons montrer, par un certain nombre de citations, cet état d’âme d’écrivains qui avaient tous adopté les théories du militarisme prussien et qui, affirmant la supériorité quasi-divine de leur race, proclamaient qu’il ne faudrait pas hésiter à détruire une capitale ennemie et ses six millions d’habitants, si cela pouvait épargner la vie d’un grenadier poméranien.

Cette absence de tout altruisme est le caractère dominant d’une mentalité qui est à l’antipode de la nôtre. Nous pouvons ouvrir au hasard les ouvrages qui traitaient des conditions de paix ; il n’en est pour ainsi dire pas un seul qui ne parle d’annexions nécessaires. Alors que nous sommes toujours sensibles au côté sentimental des questions, les Allemands professent à son égard un mépris souverain. La brochure d’un M. Scholtz contenait le passage suivant : « Si nous avions le moyen de détruire entièrement la ville de Londres, ce serait plus humain que de laisser un seul Allemand perdre son sang sur le champ de bataille : une cure radicale est ce qui amène le plus rapidement la paix. Hésiter et attendre, user de douceur et d’égards, c’est une faiblesse impardonnable. Une attaque brutale, qui ne tient compte de rien, voilà la force qui amène la victoire. Que l’ennemi dise de nous ce qu’il lui plaira : la seule chose que nous ne voulons pas, c’est qu’au jour de la signature de la paix il puisse prétendre que les Allemands ont été les dindons de la farce. »