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Bordeaux, fort enfoncé dans les terres. Il y a au moins une centaine de kilomètres, — 60 mille marins, environ, — entre ses quais et le débouché des passes de l’Escaut dans la mer du Nord. Eh bien ! sur ces 100 kilomètres, 80 appartiennent à la Hollande.

Supposons que les traités de 1815 aient donné à l’Espagne le littoral landais jusqu’à la Gironde, et au-delà, de manière à faire de l’estuaire garonnais l’exclusive propriété de nos voisins du Sud-Ouest, et nous n’aurons encore qu’une imparfaite idée de l’extraordinaire situation faite à la Belgique par le traité de 1839, car enfin, si important que Bordeaux soit pour nous, Anvers l’emporte en ce qui touche les intérêts de nos amis.

Comment l’Angleterre put-elle imposer, et comment la France, — qui venait de libérer du joug hollandais la forteresse même d’Anvers, — put-elle accepter une solution aussi partiale et inique d’une question infiniment simple : « A-t-on le droit d’obliger la Belgique de respirer par une bouche étrangère ? »

Pour expliquer cette inexplicable absurdité politique et économique, il faudrait une longue étude des passions, des préjugés et aussi, en ce qui nous concerne, des étranges faiblesses des hommes d’Etat de cette époque un peu lointaine. N’essayons pas de l’entreprendre. Nous aurions assez à faire déjà, — je n’ai pu qu’effleurer ce sujet qui m’eût aisément entraîné hors du cadre de cet article, — d’expliquer comment les « redresseurs de torts » de 1919 ont pu laisser subsister en juin après les avoir nettement reconnus en mars, ceux dont souffre un peuple qui s’est sacrifié, en 1914, pour le droit et la liberté, qui a été jusqu’au bout leur vaillant et fidèle allié et qui comptait sur leur justice, sinon sur leur reconnaissance.

L’affaire de la passe de Wielingen est venue, tout récemment, à la fois compliquer le conflit hollando-belge et l’expliquer, en ce sens que s’y montre bien à plein la « mentalité » des dirigeants hollandais et de ceux sur l’appui de qui, visiblement, ils comptent pour maintenir, pour aggraver même sur un point, les stipulations de 1839.

La passe dont il s’agit, et qui est la meilleure des voies d’accès de l’Escaut à la pleine mer, longe la côte flamande pendant une dizaine de milles, après avoir dépassé le méridien de l’embouchure du ruisseau de Zwind, limite des deux pays dans la Flandre « zélandaise. » Les eaux du Wielingen sont donc purement et indiscutablement belges, à partir de cette borne-frontière.