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n’entendit pas venir à lui le joueur de flûte dont les pas faisaient craquer le sable de l’allée, il fallait que sa lecture fût bien attrayante. A peine cependant, à discerner l’ombre que Descôteaux dans le soleil projetait sur le chemin et jusque sur le banc où il était assis, M. de La Sablière eut-il levé la tête qu’aussitôt il vit et reconnut le flûtiste, se leva, fut droit à lui, lui tendit le petit livre qui semblait causer sa jubilation, puis, plaçant le doigt sur la page, l’obligea à en lire le titre, lequel était, dans toute sa saveur naïve, ainsi libellé : La Connaissance et culture parfaite des Tulipes rares, des Anémones extraordinaires, des Oreilles fins (sic) et des belles Oreilles d’ours panachés (sic).

N’est-ce pas La Bruyère, étudiant toutes les sortes de manies auxquelles sont enclins les curieux de tous les genres, qui parle de cet amateur d’oiseaux qui avait donné pension à un homme dont tout le ministère était de « siffler des serins au flageolet. » Eh bien ! Descôteaux, en rentrant ce jour-là dans son petit jardin du faubourg, montra que, quelque original qu’il fût dans son genre, il aspirait à le devenir autant que cet amateur, c’est-à-dire beaucoup plus qu’il n’était déjà. Jusqu’à ce que le soleil fût couché et les étoiles naissantes, debout dans ses souliers pleins d’herbe et les bras agités, il fit, à haute voix en effet, lecture devant ses tulipes du parfait Traité où M. de Valnay, contrôleur de la Maison du Roi et l’auteur de ce petit livre, expose toutes les raisons subtiles et délicates que les peuples, tant de l’Orient que de l’Occident, ont de cultiver et de chérir ces plantes…

Le Luxembourg, tel que le plan de Turgot, entre le petit clos des Carmes et le potager des Chartreux, en a relevé le dessin, ne présente plus tout à fait cet air de régularité qu’on lui trouve à le considérer dans le dessin plus ancien de Pérelle. C’est-à-dire que, depuis que la duchesse de Berri, fille du Hégent, en possède la partie la plus élendue, l’extrême netteté des massifs, la propreté des parterres, l’ordre même des quinconces ne sont plus aussi manifestes qu’au temps où La Fontaine, hôte de la duchesse douairière d’Orléans et M. de La Bruyère, s’attardaient au long des promenades et parmi les pelotons de nouvellistes, à deviser de compagnie. Du désordre, certes, mais ce désordre n’est pas sans un certain charme et, quand Mme de Caylus, hôtesse de ce noble asile, écrivait, il y a