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fleuriste, mais qu’encore il voulait « être philosophe et parler Descaries. » Cette fureur de Descartes, qui avait tant agité autrefois les gais compagnons d’Auteuil et dont La Bruyère a parlé lui-même, dans son livre, au chapitre des Esprits forts, n’avait jamais cessé un instant de tourner la tête à notre fleuriste ; mais, de toutes ces manies qui continuaient à faire du flûtiste un personnage singulier, la plus aimable était bien toujours cette passion des tulipes qui, grâce à La Bruyère, l’a fait immortel.

Mathieu Marais nous dit là-dessus de Descôteaux, en ce qui regarde ces plantes, que, parvenu à un âge extrême, il était resté d’une « curiosité outrée ; » mais cette curiosité, quelque grande qu’elle fût, n’était que peu de chose elle-même, en comparaison de la passion avec laquelle le même homme continuait de s’occuper de l’espèce unique, de la rare tulipe chère à tant de personnes de l’époque, aussi bien de la France que de la Hollande. L’une des surprises de sa vie, — et des plus belles, des plus étonnantes restées dans ses souvenirs, — était celle qu’il avait éprouvée, la fois inoubliable où, quittant son petit enclos de fleurs, Descôteaux s’était, à moins d’une demi-lieue de son faubourg, rendu à l’invitation de M. de La Sablière, son digne et puissant voisin.


Ce voisin, en automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avait la fleur, les autres le rebut…


Ainsi La Fontaine, dans sa fable de l’Ecolier, avait en se jouant tracé au passage la silhouette du mari de sa chère et bonne protectrice. Le fait est qu’en cette Folie-Rambouillet, appelée aussi par les amateurs domaine des Quatre-Pavillons et située à Reuilly, M. de La Sablière récoltait les prunes les plus belles qui fussent au monde. Cependant, encore que le soleil fût haut dans le ciel et le temps limpide, ce n’était pas de ses seules prunes que M. de La Sablière était occupé ce matin-là, tandis qu’autour de lui, gardiens de tant d’arbres chargés de fruits mûrs, les garçons du jardin s’empressaient fort sérieusement, les uns à faire des moulinets avec leurs bras, les autres à tirer des mousquetades à l’effet de chasser les oiseaux. Contrairement à ses habitudes, d’une activité toute rustique, M. de La Sablière lisait, et, pour qu’il