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grande que la précédente remplie de plusieurs bouteilles avec des écriteaux. L’une contenait de l’eau générale, dont l’opérateur fit don à M. le Duc. Avec cette eau, on possédait tous les talents, tous les secrets ; on devenait invincible. La seconde bouteille était remplie d’esprit universel. « Il suffit, dit M. de Malézieu, toujours costumé en charlatan, d’en prendre pour avoir l’enjouement, le badinage, la gaîté et l’à propos, enfin tous les ornements de l’esprit. » C’est de la meilleure grâce du monde que Mme la duchesse du Maine reçut entre ses mains un si grand présent. A Mlle d’Enghien l’opérateur offrit de la poudre de Sympathie ; après quoi, il débita de l’Essence des élus ; mais ce que tout le monde s’accorda à trouver le plus sublime, fut quand, de la « boette » de l’Arlequin, il fit, — au moyen de sa baguette, — apparaître, outre un flacon de Sirop violat, un paquet de pilules fistulaires. « J’appelle ce sirop Violat, dit M. de Malézieu, parce que, dès que j’en ai versé une goutte dans la main de qui que ce soit, il devient aussi excellent pour la viole que Marets et Forcroy. » Et « pour ces pilules, ajouta le magicien, n’allez pas vous persuader que ce soit pour guérir des fistules… je les nomme pilules fistulaires à cause de fistula qui signifie flûte. Vous allez voir la merveille qu’elles opèrent ! J’en vais mettre une dans la bouche de mon Arlequin ; dès qu’elle aura touché ses lèvres, il jouera de la flûte comme Pan ou Descôteaux ! »

Là-dessus, il se joua une piperie singulière, l’Arlequin voulant, par ses sauts et par ses gambades, éviter que M. de Malézieu lui ingurgitât la pilule. Ayant cependant consenti à céder, cet Arlequin, au grand ébahissement de la compagnie, se mit à jouer, sur la flûte d’Allemagne, un solo qui enchanta Mme la duchesse du Maine, flatta l’ouïe de Mlle d’Enghien, ranima M. le Duc et ne laissa pas de communiquer à la petite chienne Jonquille une satisfaction évidente. « Vous croyez peut-être, continua M. de Malézieu, toujours en persillant et se donnant de la voix, que je vous en impose et qu’Arlequin savait jouer de ces instruments. Il faut vous convaincre tout à fait. »

À ces mots, M. de Malézieu s’avança au bord du théâtre. « Qu’on me fasse venir, dit-il, en désignant avec sa baguette le côté des coulisses, quelques-uns de ces paysans qui sont là-bas ! » Alors, comme le raconte Donneau de Vizé dans sa relation du Mercure galant, on poussa sur la scène deux paysans d’aspect