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Condé, l’autre du duc du Maine, s’estimaient et s’aimaient[1]. Galant homme, bel esprit, rare ordonnateur des divertissements et des plaisirs, Nicolas de Malézieu vivait un peu à Sceaux comme Aladin au fond de son palais de prestige et d’enchantement. C’est dire qu’il n’y avait pas de fêtes sans Malézieu, pas de chasse, pas de théâtre, pas de conversation, pas de promenade, rien de plaisant ou de charmant qui se fit dans cette belle terre sans que M. de Malézieu y prit part, préparât les détails et conduisît l’ensemble.

À la fois poète, acteur, philosophe, magicien, capable d’accomplir tous les miracles de la féerie, d’apprêter toutes les surprises d’un divertissement, de conduire une fête italienne avec des masques, une fête française avec des violons, tel était M. de Malézieu, celui qu’on appelait le Curé dans l’intimité, alors que, dans la même intimité, l’abbé Genest était Pégase, le duc de Nevers Amphion et le duc du Maine lui-même le Garçon. Intendant des biens, conseiller des esprits, M. de Malézieu, à Sceaux, disposait de tout, gouvernait tout, et, tant au temporel qu’au spirituel, régnait surtout. « Il a une infinité de talents, écrivait de lui l’abbé Genest à Mlle de Scudéry, et il excelle en tous. Jurisconsulte, philosophe, mathématicien au premier degré, il possède parfaitement les belles-lettres ; il parle à charmer et il écrit comme il parle. »

Ce que l’abbé Genest disait là de Malézieu, Fontenelle le pensait de son côté, La Bruyère de même et, plus tard, bien plus tard, Mme de Staal-Delaunay en donna l’assurance. « À Sceaux, écrit cette charmante femme qui fut aussi pour ses maîtres dans l’adversité une suivante fidèle et courageuse, la décision de M. de Malézieu avait la même infaillibilité que celle de Pythagore parmi ses disciples. Les disputes les plus échauffées s’y terminaient au moment que quelqu’un prononçait : Il l’a dit ! » — Il l’a dit ! c’était le mot magique au moyen de quoi ce Merlin en perruque et cet Aladin à l’habit français imposait sa sentence. Il l’a dit ! et, dans cette petite cour, qui avait son étiquette, ses lois et ses usages, M. de

  1. Voltaire rapporte que La Bruyère confia le manuscrit des Caractères à M. de Malézieu. « Le fait, écrit M. Allaire, dans son livre : La Bruyère et la maison de Condé, nous paraît vraisemblable. Tous deux Parisiens, presque du même âge, La Bruyère et Malézieu avaient embrassé le cartésianisme dans le même temps. »