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III. — PLAISIRS ET TOURMENTS D’UN FLUTISTE

Ces airs insinuants, rêveurs et qui pénètrent l’âme, comme nous l’avons vu pour La Fontaine, au point de l’envelopper et de la charmer, c’était la grande séduction dont le flûtiste usait sur son auditoire ; mais ce qui ajoutait encore à cette séduction, c’est que Descôteaux, dans beaucoup de concerts où il prenait part, révélait en réalité cet habit de Tircis ou de Céladon auquel, dans sa fable, a fait allusion le Bonhomme. À ce propos, Edouard Fournier, dans son très ingénieux et très curieux livre : la Comédie de Jean de La Bruyère, n’a pas laissé de nous donner plus d’un détail. « Les joueurs d’instruments, dit-il, paraissant alors sur la scène avec ces costumes d’acteurs qui sont un si grand attrait pour le regard des femmes, leurs bonnes fortunes allaient de pair avec celles des comédiens et des chanteurs. Descôteaux, pour sa part, en eut de célèbres qui méritèrent d’être mises en chansons. Philibert en eut plus encore, et ce fut son malheur. »

Philibert était ce flûtiste, rival et ami de Descôteaux, dont nous avons vu que Dangeau parle, dans son Journal, à l’occasion d’un concert donné chez M. le Duc. « Monseigneur, dit-il, alla tout seul dîner à Choisy et, ensuite, alla à l’Opéra à Paris trouver Mme la Duchesse ; il n’était accompagné que de l’officier de ses gardes. Après l’Opéra, il alla souper avec elle au Petit Luxembourg où M. le Duc fit venir Descoteaux, Filbert et Vizé pour la musique, Mezzetin et Pascariel pour quelques scènes italiennes. » C’était donc à la fois le concert et le théâtre, enfin, pour tout dire, un divertissement que M. le Duc (le petit-fils du grand Condé et l’élève de La Bruyère) donnait, ce soir-là, à Monseigneur.

Encore que le maître de musique, dans le Bourgeois gentilhomme, assure à M. Jourdain qu’ « une personne qui a de l’inclination pour les belles choses » se doit d’avoir « un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis, » c’est un vendredi (le vendredi 26 novembre 1694) qu’eut lieu au Luxembourg ce concert de bergers mêlé de farces. Au sujet de ces dernières, il n’était personne alors qui en jouât de plus drôles que Pascariel et Mezzetin, le premier garçon natif de Messine et le second de Vérone, tous deux de la