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Ce qui reste de tant d’études abordées, ébauchées, conduites à bien ou arrêtées avant terme, c’est cette vaste connaissance de toute notre histoire que je signalais en débutant ; et parce que toute cette histoire lui est présente, c’est le sentiment très vif, — et justifié par tant de coups de sonde, — de la continuité de la France à travers les siècles.

Il en était frappé à la veille de l’énorme crise qui, en 1914, allait se produire : à plus forte raison, n’ayant cessé d’en suivre sous cet angle les péripéties, en reste-t-il hanté. Nous avons tous touché du doigt l’Histoire, à toutes les heures, à toutes les minutes de ces années tragiques. Elle se faisait sous nos yeux, — que dis-je ? chacun de nous avait conscience de la faire. Jamais, en effet, crise n’a plus donné à la masse le sentiment très net que l’Evénement est, neuf fois sur dix, œuvre collective. Certes, il reste avéré que le Héros est parfois nécessaire pour brusquer la péripétie, le Chef, — civil ou militaire, — pour conduire à sa solution la crise, l’Homme pour maîtriser l’Evénement du jour et, parlant, faire celui du lendemain. Je ne me sens pas la force de m’indigner quand toute une école écarte délibérément l’action des grands hommes d’Etat et de guerre comme indifférente, alors que notre génération aura vu un admirable homme de guerre saisir une bataille aux trois quarts perdue et en tirer la victoire, — avec les mêmes soldats et en avant de la même nation. Mais il est tout aussi incontestable que la Victoire a été, de 1914 à 1918, l’œuvre de tous que, de l’arrière à l’avant, — pour ne parler que de notre pays — la Vertu française l’a remportée, et qu’ainsi la Nation, derrière des chefs valeureux, a fait, une fois de plus, son histoire.

Je dis : une fois de plus. Car tel événement ne pouvait surprendre que les ignorants. Je me rappelle, — je l’ai écrit dès 1915, — de quels souvenirs se nourrissait, pendant les pires heures de 1914, un optimisme que mes camarades n’étaient pas loin de traiter d’illuminisme. Lorsque enfermés dans le fort de Douaumont, nous sentions l’armée Sarrail s’éloigner lentement vers le Sud-Ouest et que, coupés de toute communication avec l’extérieur, nous prêtions au canon de la Marne une oreille frémissante, je me sentais, en face d’une angoissante situation, pris d’une confiance que d’aucuns, — ils en témoigneraient, —