Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut consoler en pensant que, pour les hommes comme pour les affaires, l’intérêt le plus puissant réside souvent dans les origines.

Qu’il ait pu passer de celles d’un Richelieu à celles du régime actuel, c’est une preuve de la souplesse avec laquelle il est capable d’employer sa méthode. L’Histoire de la France contemporaine, dans ses quatre volumes, embrasse dix ans qui vont des derniers jours de la guerre de 1870-1871 à la mort de Gambetta. C’est peut-être le plus curieux essai tenté par un historien d’appliquer à des événements auxquels il a été mêlé la méthode historique : cette énorme lecture, qui satisfait tout à la fois sa magnifique curiosité et ses scrupules de chroniqueur, se retrouve en cette œuvre où tout autre se fut contenté d’utiliser ce qu’il avait vu et avait entendu. Les hommes qu’il a connus, il veut cependant les revoir à travers d’autres contemporains : il contrôle sa propre vision. Mais ce qui élève l’œuvre, c’est le souci de lier la politique contemporaine à l’histoire de France. Si familier qu’il soit avec un Gambetta, il veut l’étudier avec le même scrupule qu’il mettait naguère, — toutes différences gardées, — à étudier un Richelieu et, par ailleurs, il traite l’Assemblée nationale de 1871 avec la même curiosité scientifique que les États Généraux de 1614. Enfin, la troisième République ne lui apparaît point comme un chapitre sans lien avec le passé. La France continue, et c’est toute la France ; car il court avec aisance du cabinet des ministres et des couloirs des Assemblées au laboratoire de Pasteur et à la table de travail de Taine, ne voulant rien laisser ignorer de l’œuvre de relèvement qui, après 1871, est le fait de la collaboration de tant d’esprits généreux.

C’est ce souci de traiter d’un monde qui apparaît dans sa troisième œuvre capitale, cette Jeanne d’Arc, qui constitue sans doute son meilleur ouvrage, parce qu’il l’a écrit en pleine maturité de son talent et en pleine possession de ses moyens. Saisir pareil sujet caractérise l’absence totale de timidité, qui est la marque de cet esprit. Et le résultat a justifié cette belle audace. Objet vingt fois traité, il parait nouveau sous cette plume ingénieuse. Qu’est-ce que Jeanne ? À cette question il répond : C’est la France de ce temps ! Si elle n’eût été la représentante parfaite de ce pays et de cette époque, elle n’eût point à ce degré servi le miracle. Et c’est donc la tragique France du XVe siècle qui remplit, derrière la figure de l’admirable héroïne, ce volume singulier. A le lire, on voit qu’à l’historien de