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dû ; en le posant, je me pose à part. Une telle idée, centripète, est de l’espèce anarchique : elle tend à dissocier. Mon devoir, c’est ce que je dois aux autres : en m’y donnant, je me donne à eux, j’adhère, je collabore. Une telle idée, centrifuge, est de l’ordre synthétique, organique ; elle construit, elle assemble. C’est un fait significatif que, depuis Rousseau, qui se vantait de n’obéir qu’à son cœur, jamais à son devoir, romantiques et démocrates se sont accordés pour soutenir, les uns au nom du sentiment et de la passion, les autres au nom de la raison, le droit de la nature et de l’individu contre les consignes et conventions traditionnelles de la société.

Du romantisme, il y en a toujours eu en Angleterre, mais le principe antisocial qui s’y cachait, soudain si manifeste dans l’œuvre et la vie d’un Shelley, d’un Byron, en fut vite éliminé. Réaction contre la Révolution française, avènement au pouvoir d’une bourgeoisie industrielle et commerçante nourrie dans les sectes puritaines, renaissance évangélique, influence morale de la reine Victoria, vif sentiment anglais, surtout, des conditions de la santé sociale : autant d’obstacles à son développement, alors que, sur le continent, l’action de Byron continuait de s’approfondir et de s’étendre. De même pour la démocratie : il y en a toujours eu depuis le XVIIIe siècle chez nos voisins, — et qui nierait que l’effort pour la conquête des droits et des libertés n’ait été de bonne heure l’un des principes déterminants de la vie de ce peuple ? Mais au moment de l’histoire qui décida la direction moderne de l’âme anglaise, il s’agissait surtout pour l’individu de la liberté d’obéir à sa conscience, du droit pour chacun « de faire les choses qu’il doit faire et de ne pas faire les choses qu’il ne doit pas faire ; » en d’autres termes, du droit du devoir, conçu vraiment comme devoir, je veux dire comme un acte à quoi l’on s’oblige, à quoi l’on n’est point obligé du dehors, à l’allemande, par l’autorité du Prince. Voilà l’idée que l’Angleterre portait en soi, tenait de son passé puritain quand elle commença de prendre la forme démocratique, — et parce qu’elle est si générale et si impérieuse, lorsqu’un Anglais ne suit que sa tendance égotiste, qui est puissante, comme le moi anglais, il lui faut d’abord se persuader qu’il obéit à sa conscience : on doit toujours compter avec les retours de cette simple et forte illusion. D’où la vieille accusation d’hypocrisie que les peuples plus indulgents à la nature (nos voisins disent :