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la richesse du vestiaire, ne prévalut contre la vulgarité, pour ne pas dire la grossièreté de cette soi-disant musique. Et ce fut justice. Ferdinand Brunetière écrivait un jour : « Je ne suis jamais sorti d’un café-concert sans ressentir quelque honte ou quelque humiliation du genre de plaisir que j’y avais quelquefois éprouvé. » C’est ainsi que nous serions sortis de la Gaîté-Lyrique, si la musique de la Geisha nous avait causé le moindre plaisir.

L’Académie nationale de musique ne ferait pas mal de changer son titre pour cet autre : « Hôtel des Etrangers. » Des œuvres et des interprètes de tous les pays ne cessent d’y « descendre. » Chanteurs et chanteuses, chefs d’orchestre, orchestres, mimes et baladins, il en vient, il en revient de partout, de l’Espagne et de l’Italie, de la Russie et des États-Unis d’Amérique. Si ce n’est pas encore à l’Opéra la confusion des langues, c’en est déjà la combinaison, témoin certaine exécution bilingue de Rigoletto. A la vérité, l’accent du New-York Symphony Orchestra n’a pas déplu. Jouée avec éclat, avec fougue, avec enthousiasme, par la compagnie que dirige M. Walter Damrosch, l’ouverture du Roi d’Ys parut une fois de plus ce qu’elle est en réalité : la plus originale et la plus belle peut-être qu’ait écrite un musicien de chez nous. Cela soit dit, ou redit, sans oublier que le reste de l’œuvre, du chef-d’œuvre, n’est pas au-dessous de ce magnifique prologue.

Mais entre tous les hôtes, ou locataires, du Garnier-Palace, les Russes dansants continuent d’être les grands favoris. Ils le sont de plus en plus. Ils le sont trop, à la fin, et les raisons ne manquent pas de protester contre l’excès de leur faveur. Raisons d’esthétique d’abord, et que la raison connaît : j’entends notre raison française, rebelle, en dépit de la mode et de la réclame, à certains accouplements de couleurs, de formes et de sons. Ainsi l’avant-dernière nouveauté du printemps fut un certain Pulcinella. Tant que M. Stravinsky ne faisait que sa musique à lui, ce n’était déjà pas toujours très bien, Mais voici qu’il se met à défaire celle des autres, d’un autre au moins, et qui s’appelle Pergolèse. C’est peut-être pire. Notez que nous disons « peut-être » seulement.

Passerons-nous de ce qu’on entend à ce qu’on voit ?


Segniùs irritant animos demissa per aurem
Quam quæ sunt oculis subjecta


Par les yeux, par les oreilles, il y a trop souvent dans les ballets russes de quoi doublement irriter les esprits. Pour les apaiser et les