Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intonation, d’une inflexion juste. Parfois aussi, trop rarement, l’orchestre s’y ajoute, également discret et délicat. Il enveloppe, sans l’étouffer, la parole à demi déclamée et chantée à demi. Tel est le style de certaines pages, à notre gré les meilleures : le rêve que raconte à Lorenzaccio sa mère ; plus loin, dans la nuit du meurtre, sur un pont de Florence, au clair de lune, le rêve encore, ou plutôt la rêverie de Lorenzaccio se rappelant son enfance, et les prairies et les champs, et la petite chevrière et les chèvres blanches de Cafaggiuolo. Dans la fin de ce monologue, dans le doux flottement de la voix au-dessus d’un orchestre harmonieux, il y a vraiment de la musique et de la poésie. Il y en a dans une autre scène, la dernière, après l’assassinat. « Lorsqu’il eut vu le duc au point où il le voulait mettre, Lorenzo, tant pour s’assurer qu’on n’avait rien soupçonné, que pour se reposer et respirer, (car il était vaincu et brisé de lassitude), se mit à l’une des fenêtres qui ouvrent sur la via Larga. » Ainsi parle la chronique florentine. Mais Alfred de Musset parle mieux :


LORENZO, s’asseyant sur la fenêtre.

« Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie !… Que le vent du soir est deux et embaumé ! Comme les fleurs des prairies s’entr’ouvrent ! O nature magnifique ! O éternel repos ! »

Sans égaler ici la poésie, la musique n’en est pas indigne. A son exemple, elle s’élève et s’épanouit. Elle ramène une dernière fois le thème, ou le chant, très inspiré de*Massenet, qui, d’un bout à l’autre du drame, est censé représenter Lorenzaccio et ne le représente pas mal en effet, ayant comme le personnage même je ne sais quoi d’ondoyant, de nerveux et d’un peu morbide. Décidément, sur le point de conclure, le « tu ne m’as rien dit, » de Cherubini semble un peu bien sévère. Gardons de Lorenzaccio l’impression finale, et que les autres soient par elle atténuées.

« Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour tenir un éventail, ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de rire[1]. » Écoutez-moi cette voix aussi, tantôt ironique et mordante, tantôt lasse et lourde d’une funeste mélancolie ; cette voix qui s’enfle moins qu’elle ne se creuse et qui, plutôt que de briller, cherche à

  1. Musset.