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M. Edmund Gosse, où il soit question de celui en qui le poète d’Atalante ne cessa de voir jusqu’à sa mort le plus grand de tous les hommes. Et rien n’est plus intéressant pour le lecteur français que les témoignages nouveaux que nous apportent ces deux volumes sur les rapports de Swinburne avec les écrivains et les poètes de notre pays. Sans doute, rien de tout cela n’est entièrement inédit. Dès la mort de Swinburne, au mois d’avril 1909, le regretté Octave du Barral réunissait dans un article des extraits des sept ou huit pièces que le poète, dans sa vie, a consacrées à son idole, sans parler de l’étude où il déclare l’admirer, à son tour, « comme une brute. » On connaît ses exquises traductions de Villon et les subtiles romances françaises de Chastelard[1]. Les lecteurs du Tombeau de Théophile Gautier n’ont pas oublié ses beaux vers « au plus lumineux des poètes, » et j’imagine que M. Henri de Régnier, fidèle à la mémoire de Stéphane Mallarmé, se souvient avec émotion du précieux Nocturne que Swinburne inséra dans le troisième numéro de la République des Lettres. Un écrivain italien, Mme Alice Gomberti, rappelait naguère dans la Nuova Antologia quelle place tient Mazzini dans la poésie de Swinburne. Il y aurait une étude semblable, et peut-être plus féconde, à faire sur ses relations avec la France. On en trouvera les éléments dans le recueil que vient de nous donner la piété de M. Edmund Gosse. Je crois qu’il serait aisé d’y ajouter encore.

Il y a malheureusement un point sur lequel toute recherche sera désormais inutile. De tous les poètes de son temps, nul n’a exercé sur Swinburne une action comparable à celle de l’auteur des Fleurs du mal. Ce qu’il y a au monde de plus « baudelairien, » ce sont certains morceaux des Poèmes et Ballades, la magnifique Laus Veneris, Faustine, Félise, le Jardin de Proserpine et surtout Dolorès, « Notre-Dame de Douleur, » « fille de Priape et de la mort, » — le plus profond des hymnes à la volupté et au néant, la perle notre de la poésie. On sait du reste quel scandale ce livre admirable et impie souleva dans le siècle bourgeois de Victoria : une bataille d’Hernani, la plus belle tempête littéraire qu’ait jamais provoquée

  1. Chastelard, le premier des drames de la trilogie de Marie Stuart, a été traduit en 1910 (B. Grasset, édit.) On sait que les Poèmes et Ballades, traduits par M. G. Mourey, ont paru en 1891 avec une curieuse préface de Maupassant.