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qu’elle produisait jadis ; en revanche, elle dure près de vingt minutes de plus qu’autrefois. Pourquoi ? Parce que, sous prétexte de « pensée, » les acteurs traînent péniblement le texte au lieu de se laisser emporter par la passion. Il faut appeler l’attention de tous sur ce ralentissement dans l’interprétation des œuvres de Molière.

Cette critique serait aussi bien à formuler pour le Misanthrope. La pièce dure actuellement, elle aussi, près d’une demi-heure de plus que de raison. Lorsque Delaunay (le père) « s’essaya, » — comme on dit rue de Richelieu, — dans Alceste, on fut, pour son interprétation, d’une révoltante injustice. Delaunay fut le seul (je n’excepte pas Worms qui jouait certes remarquablement le rôle, très sympathique « amoureux, » mais « triste » et sans « furia »), Delaunay est le seul, dis-je, qui ait évoqué les interprétations éblouissantes de nos anciens.

Je retrouvai quelques bons souvenirs des interprétations d’antan, lorsque, — malgré quelques reproches justifiés, le soir de la reprise, par la nervosité du débutant, — je pus assister M. Georges Le Roy, le dernier interprète d’Alceste, dans un travail passionné. Ce lettré compréhensif sera de premier ordre lorsqu’on le pourra voir, à son tour, en possession moins intermittente du terrible rôle. Le sentiment directeur de nos efforts nous guida, cette fois, vers l’observance la plus étroite de ce qui nous est parvenu des intentions de Molière, car les excellents artistes qui furent applaudis dans Alceste ont tous (à part Delaunay, bien que resté trop jeune amoureux, de l’avis général), inconsciemment ou volontairement, négligé de profiter des quelques détails connus de l’interprétation de Baron, que Molière désigna de son vivant pour lui succéder. Le texte précis de la fameuse Lettre sur le Misanthrope attribuée à Donneau de Visé est si sagace, si probant, que nous sommes en droit de nous demander si Molière n’a pas approuvé la rédaction de ce texte, bien qu’il ait, dit-on, protesté pour la forme contre sa publication ? Cette lettre constitue le document capital d’où se dégage la lumière qui rayonna sur le théâtre lors des premières représentations de la pièce immortelle.

Pourquoi néglige-t-on le côté fantasque d’Alceste qui ressort de la description même de son costume ? Cette description figure à l’inventaire de la garde-robe de Molière, et, depuis cent ans et plus, tous les interprètes l’ont dédaignée : « Item. Une autre