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comique s’est donc graduellement atténuée, et certains interprètes, invoquant une « profondeur de pensée » qu’ils s’imaginaient avoir découverte, se substituèrent aux personnages de l’auteur. Leur jeu lent, raisonneur, parfois lugubre, en vint à rendre plusieurs pièces méconnaissables. Peut-être le verra-t-on, au cours de ces remarques qui ne sont que le résumé d’une longue expérience. Aussi bien, l’occasion s’offre de revenir à quelques errements négligés, en l’honneur du tricentenaire de la naissance de Molière que l’on s’apprête à célébrer en 1922.

On a publié la liste des pièces que compte remonter la Comédie-Française, et cette liste, établie par ordre de chronologie, commence avec la Jalousie du barbouillé et le Médecin volant, deux farces attribuées à Molière. Ces farces passent pour être précieuses en tant que « canevas » de George Dandin et du Médecin malgré lui ; mais nous savons ce qu’elles valent devant le public, pour avoir été témoins de l’effet qu’elles produisirent à l’épreuve de la scène. Il est très louable d’avoir l’intention de jouer toutes les pièces de l’auteur du Misanthrope ; reste à savoir si cette réalisation intégrale sert bien celui que l’on veut honorer. Les reprises de la Jalousie du barbouillé en 1833 et en 1914, celles du Médecin volant en 1833 et en 1888, bien que confiées à des artistes hors de pair, furent également sans effet. Pourquoi récidiver et ne pas s’en tenir à la sage opinion de J.-B. Rousseau : « Les plus grands hommes n’ont pas toujours été grands en tout ; ils n’ont même pas toujours voulu l’être ; et loin qu’on doive regarder comme précieux tout ce qui est sorti de leur plume, on devrait, au contraire, si on le pouvait, supprimer avec discrétion tout ce qui n’aurait pas dû en sortir. » Ces restrictions provoqueront peut-être la colère de quelques ardents, toujours prêts à nous affirmer que les esquisses sont supérieures aux tableaux ; mais elles allégeraient, en l’occurrence, les efforts et les dépenses de la Comédie. Si nous souhaitons que l’on mette tout le soin désirable aux réfections scéniques, aux distributions de George Dandin et du Médecin malgré lui, nous admettons l’espoir de laisser leur chrysalide, dans l’ombre où dorment : Gorgibus dans le sac, le Grand benêt de fils, la Cosaque, Plan-Plan, le Fin lourdaud, etc…

L’Étourdi n’a jamais, à aucune époque, quitté l’affiche. La langue poétique, disait Hugo, « y est étincelante d’esprit et d’imagination. L’Étourdi est la mieux écrite de toutes les