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tombés et les yeux se fixaient sur le vrai visage de ceux qui s’annonçaient comme les nouveaux maîtres de la terre. La durée de la guerre donne aux indignations le temps de prendre corps ; l’héroïque résistance de Verdun permet d’espérer le triomphe du Droit ; déjà la grande démocratie américaine a vu ses plus nobles fils prodiguer leur sang et leur or pour la cause sacrée ; elle comprend enfin quel danger représente pour elle la victoire de l’Allemagne, dont « l’avenir est sur l’eau. » Insultée dans son honneur et menacée dans ses intérêts, elle entre dans la lice avec ses forces toutes fraîches et croissant sans cesse selon les nécessités du combat. Ses réserves pratiquement inépuisables assurent la défaite des Empires centraux.

C’est donc bien le sentiment de la Justice et la puissance du Droit qui ont réuni les États de l’Entente et leurs alliés. C’est la ferme confiance en ces forces supérieures qui a donné aux peuples injustement attaqués et à leurs armées une volonté de résistance que rien n’a pu briser.

L’Allemagne, qui s’est longuement préparée à la lutte, l’engage à son heure, avec une grande supériorité dans tous ses moyens d’action. Elle a une confiance absolue dans cette supériorité, dans son commandement militaire, dans l’organisation de son armée et de ses peuples, et la certitude d’une rapide victoire lui permet de tout oser. La Prusse a unifié et asservi par le fer des peuples adorateurs de la Force qui la suivront en aveugles jusqu’à ce que la défaite fasse tomber le bandeau solidement attaché qui couvre leurs yeux. Jusqu’à cette secousse fatale, c’est son esprit qui les guide sans une hésitation, sans un murmure. Leurs pensées et leurs sentiments sont collectifs et parfaitement disciplinés. Leur intelligence ne fonctionne que dans le sens indiqué par l’autorité ; elle s’ingénie à comprendre les confuses explications qu’on lui présente des événements, et elle y arrive. Les populations ont subi longtemps sans faiblir des privations très dures ; les troupes se sont battues avec un courage et une ténacité auxquels leurs adversaires ont rendu hommage.

La Prusse disposait donc d’un instrument redoutable ; heureusement pour le monde, elle n’eut pas l’homme nécessaire pour le manier. Le moins qu’on puisse dire de son gouvernement, c’est qu’il manqua de psychologie autant que de scrupules et qu’il poussa à l’extrême le mépris de ses adversaires. Il méconnut leur caractère et leurs forces, et il ignora les puissances