Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela, nous le connaissions ; mais il ajoute : « universelle rupture !… » Et ce mot qu’il emprunte au vocabulaire d’amour et de galanterie n’a-t-il point une grâce étrange, absurde et jolie, dans cette paraphrase de mélancolie où des Grieux collabore avec Héraclite et l’Ecclésiaste ?… Le thème du souvenir est le plus attendrissant. Le petit garçon qui sait que Le reste est silence, et qui a vu sa mère amoureuse et infidèle, et qui, de tout ce qu’il a vu et deviné confusément, fait un récit terrible et net, le scandale ne l’effraye pas, ne le bouleverse pas : tout cela, étant du passé, participe à la douceur du souvenir et à la dignité prochaine de la mort. Sa mère lui a dit ; « Plus tard, quand tu comprendras, pardonne-moi, souviens-toi que j’étais bien faible et bien tendre… » Ces derniers mots ont, avec langueur, une effronterie singulière ; mais « souviens-toi : » et c’est-à-dire que, les mots effrontés, plus tard, le souvenir les aura comme atténués sous la poussière. Les souvenirs sont des images qu’une cendre sainte a consacrées.

Mais le thème principal de cette poésie dont M. Edmond Jaloux a fait l’âme pensive de ses romans, je l’appellerai le thème de la frivolité. C’est à savoir que l’éloquence et la philosophie ont peut-être faussé la vérité de la vie humaine, en lui attribuant plus d’importance qu’elle n’en a. Cette maxime est redoutable et aboutirait à de rudes et insolentes négations, qui ne sont pas du tout selon l’esprit de M. Edmond Jaloux. Mais enfin, sans conclure, il est permis de regarder la vie avec une indulgence un peu triste et compatissante. Un évêque de Tolède a voulu que fussent gravés sur la pierre de sa tombe ces quatre mots : Nihil, cinis et pulvis. Une telle violence ne conviendrait pas à un poète ni au romancier que le spectacle de nos amours plaisantes et anodines incline à plus d’aménité. Nihil ou rien : c’est trop dire ; mais, peu de chose. Mlle de Giscours, dans l’Incertaine, se hasarde un peu loin quelquefois et n’a ni intentions mauvaises ni perversité. On l’étonne en lui disant que la vie n’est pas une comédie de Shakspeare ou de Lope de Vega. Elle s’attendait que la vie dût être amusante. Elle était crédule et avait une ingénuité qui est ce qui manque aux doctrines pour mériter, les unes l’assentiment, les autres le pardon. Puis consentons que la vie est grave : les âmes sont frivoles ; c’est leur péché, leur excuse et leur grâce. La vie les accable ou les tue : elles sont plus charmantes que la vie.


ANDRE BEAUNIER.