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donnée, que notre temps a inventée ou croit qu’il a inventée pour son usage et pour ! e plaisir de ne point ressasser la vie telle que l’ont vécue les siècles avant lui.

Mais Luc d’Hermany, après avoir noté que peu de livres ont une âme, dit encore : « et ceux qui en possèdent une la cachent sous un rire ou un joyau, sous une grimace ou un diadème de roses. » Les âmes ne se montrent pas toutes nues ; elles n’ont pas de cynisme : et leur vergogne ou leur coquetterie fait que nous aurons à chercher sous les ornements et les roses l’âme nouvelle, dans les romans de M. Edmond Jaloux.

Luc d’Hermany, avec d’autres jeunes gens, indique leur désir et leur volonté de « se créer une vie moderne. » Ils la veulent « harmonieuse et belle. » Ils la veulent « moderne, » et si imprudemment qu’ils n’agréent pas l’idéal qui vient d’autrefois, le chef-d’œuvre que les siècles ont élaboré, subi il et charmant héritage. « Triste chose, que les vieillards élèvent les enfants !… » Mais qui les élèvera ? Personne. Os enfants ne veulent pas être des héritiers ni des élèves. Ils naissent ; et voici leur sensibilité fraîche et neuve : allez-vous lui imposer les disciplines surannées qui ont guidé les vieillards elles ont menés au chagrin ?

Quelle est donc la trouvaille de cette jeunesse pressée de marquer son originalité ici-bas ? Écoutons Luc d’Hermany : « O misérables enfants que nous sommes ! Quand pourrons-nous donc enfin nous créer une vie moderne, harmonieuse et belle, loin de l’amour ? » En peu de mots, voici leur trouvaille : ils ont imaginé de haïr l’amour, d’abandonner « aux matelots, ouvriers et paysans, ce sport inférieur. » Ils méprisent l’amour : et voilà leur principal orgueil ; un orgueil qui n’est pas gai, un vrai orgueil. Ils suppriment l’amour, ils l’ont rayé de leurs papiers. Sur leurs papiers, ils ont inscrit « l’agonie de l’amour. » Cette révolte a bien de l’audace et n’a point d’allégresse. Ils sont extrêmement mélancoliques et, auprès de leur marasme, l’ennui célèbre de Chateaubriand parait une folâtrerie. « Je suis venu trop tard dans un monde sans imprévu, où il n’y a même plus de Peaux-Rouges ! » s’écrie Luc d’Hermany, songeant à René que divertissent les Atala, les Céluta, que divertiront les blanches Pauline de Beaumont, Delphine de Custine. Juliette Récamier, tant d’autres qui avaient de la douceur ou de l’entrain.

Qu’est-ce qu’ils ont, ces jeunes gens, contre l’amour ? Luc d’Hermany proclame l’ « ignominie » de ce sentiment. L’un de ses amis, Apremont, n’injurie pas l’amour : il l’appelle « ce qu’il y a de plus