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abêtie par l’abus de l’alcool, et qu’il ne fallait tenir aucun compte de ses divagations. Il importe donc de relever encore, dans la relation des religieuses, leur attestation unanime que la femme Simon n’était ni folle, ni imbécile, ni lunatique ; « qu’elle avait bon sens et bon cœur ; » qu’« elle était propre et que jamais on ne l’avait vue ivre ; » qu’elle ne croyait pas aux songes, était sincère, franche, de bonne foi : « elle approchait des sacrements au moins cinq ou six fois par an, » enfin que « nul ne l’avait influencée, car, avant 1814, elle ne voyait jamais personne ; pourtant elle n’a jamais failli, ni varié dans ses dires. »

Les sœurs n’étaient point seules à recevoir les confidences de « la mère Simon ; » celle-ci s’épanchait volontiers et, dès avant la Restauration, ce n’était un secret pour personne, à la maison des Incurables, que l’ancienne gardienne du Dauphin attestait avoir sauvé le prince et « ne supportait là-dessus aucune contradiction. » La déclaration du docteur Rémusat est l’une des plus précieuses, en ce qu’elle émane d’un savant dont, manifestement, les énigmes historiques troublaient peu la quiétude laborieuse ; il a rapporté que, en 1811, interne aux Incurables, il entendit l’une des pensionnaires se plaindre du régime de l’hospice : « Ah ! si mes enfants étaient ici, geignait-elle, ils ne me laisseraient pas sans secours. » Comme il la reprenait d’un ton de remontrance réconfortante : « Oh ! dit-elle, vous ne savez pas de quels enfants je parle ; c’est de mes petits Bourbons que j’aime de tout mon cœur. — Vos petits Bourbons ? — Oui, j’ai été gouvernante des enfants de Louis XVI. — Mais le Dauphin est mort ? — Non ! il ne l’est pas ! » Et alors, poursuit le docteur, « elle me raconta que le Dauphin avait été enlevé, » le 19 janvier 1794, « je ne sais pas trop si c’est dans un paquet de linge ou autrement. Je lui lis d’autres questions, mais je ne sus que cela. Je descendis et demandai au médecin-chef quelle était cette femme ; on me dit que c’était la veuve du geôlier du Temple. » Déjà du temps de l’Empire, on le voit, l’enlèvement du 19 janvier 1794 était la fable de toute la maison des Incurables ; les pensionnaires étant autorisées à sortir en ville l’avaient ébruitée, et il n’est pas étonnant que, en 1816, un policier eu eût recueilli dans le quartier l’écho qu’il transmit à ses supérieurs hiérarchiques et qui parvint jusqu’au ministre.